On se prend à rêver en lisant le roman de Chantal Pelletier. A vrai dire, plutôt à cauchemarder sur cette dystopie à l'horizon du mois de juin 2044, dans une Provence caniculaire, avec des personnages forts en gueule comme ce duo d'enquêteurs chargé de la contrebande alimentaire.
Anna Janvier ressemble à une chancelière de l'an 2000. Ronde, gourmande, et très provocatrice, elle est d'un lyrisme inépuisable sur la figue et les métaphores qu'elle inspire alors que son collègue Ferdinand Pierraud, allergique à la nature sauvage, affiche à l'opposé toutes les faiblesses du citadin. Chantal Pelletier nous ouvre aussi la cuisine de Lou, "vétéran" de la guerre afghane dont elle a gardé des séquelles douloureuses. Au cœur de cette Provence aride, elle poursuit une œuvre culinaire accessible aux détenteurs d'un "permis de table".
La France vit sous le régime de la sécu à points. Nour, la compagne de Lou, en a payé le prix. "Liquidée pour ne pas avoir respecté les règlements, condamnée à mort comme des milliers de malades chaque année." Dans une intrigue où l'on croise la silhouette spectrale de Houellebecq hospitalisé pour embolie pulmonaire en Ukraine, on assassine les cuisiniers, on trafique le foie gras à travers l'Europe, et les guerres à l'ancienne sont évincées par des conflits dont les donneurs d'ordre agissent depuis les profondeurs du Web.
Si l'écologie totalitaire plonge le pays dans le chaos, Chantal Pelletier ne renonce malgré tout à aucun des vertiges sensuels auxquels nous invite sa recette marocaine du "Majoun": Un mélange d'épices, miel, amandes, pâtes de coing, quelques herbes interdites, à rouler dans le sésame. Une brève escale au paradis des gourmets.
Nos derniers festins - Chantal Pelletier - Folio - 224 pages - 7,60€
Lionel Germain
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