Coutumier de gros thrillers qui ont nourri des séries à succès (Under the Dome), ou tutoyé le cinéma d’auteur (Shining de Kubrick), King revient régulièrement à la forme courte, nouvelles ou brefs romans parfois proches de la littérature générale. L’horreur, la peur ou la terreur n’ont pas forcément besoin du surnaturel pour s’épanouir.
Ce nouvel opus propose quatre histoires bien différentes: un jeune garçon offre un téléphone portable à un vieil homme atrabilaire, un quidam sans importance meurt et le ciel et les étoiles l’accompagnent dans le néant, l’enquêtrice de "L’Outsider" revient aux affaires, et enfin, clin d’œil au métier d’écrivain pimenté d’autodérision, les affres d’un auteur de nouvelles qui n’arrive pas à mettre en chantier un roman.
Parcourant ses territoires favoris, l’État du Maine en particulier, King revisite en même temps sa géographie intime, l’enfance, les blessures jamais guéries autour desquelles des vies se construisent – ou se défont. On peut s’étonner de sentir dans ces pages couler à ce point le lait de la tendresse humaine dont parle Shakespeare. Chaque homme contient des multitudes, les instants de vie les plus insignifiants sont ceux peut-être pour lesquels Dieu a créé le monde.
Ces nouvelles, la première en particulier, sont le théâtre d’un adieu mélancolique à l’enfance, une manière d’automne de l’innocence atteignant presque le niveau d’incandescence du "Corps", le plus beau de ses récits, magnifié par le film de Rob Reiner "Stand by me" en 1986. Lorsqu’il franchit la ligne d’ombre l’avertissant que les parages de la prime jeunesse doivent être laissés en arrière, l’adolescent voit venir à sa rencontre des fantômes déconcertants: comment rester fidèle aux émotions, aux aspirations dont on a, enfant, senti qu’elles devraient être celles de toute une vie, en échappant à l’emprise mortifère du passé? Il s’agit ici moins de retrouver le temps perdu que de ravauder les mémoires: on écrit, alors, pour guérir le présent.
Si ça saigne - Stephen King - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch - Albin-Michel - 457 pages – 22,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 21 février 2021