Dans l'archéologie de notre civilisation occidentale, on a coutume de penser que ce qui ne meurt jamais est mesurable dans les acquis très prosaïques de la génétique, et on accorde la part de mystère à une hérédité irréductible à cette affaire triviale de particules, aussi élémentaires soient-elles. C'est au confluent de deux traditions que tout oppose en apparence que Dominique Faget nous invite à relativiser nos certitudes, en nous proposant un long voyage à travers le temps et l'Afrique.
Janvier 1910, on construit les derniers kilomètres de la voie de chemin de fer de l'Afrique occidentale française. Les ouvriers en colère se révoltent et l'un d'eux récupère sur le chantier un masque qu'il sauve de la convoitise des Blancs pour le porter dans sa tribu.
En 600 avant notre ère, Enmouteff l'Égyptien, frère de l'empereur, embarque pour un curieux voyage. Une odyssée menée à la demande du Pharaon pour conquérir de nouveaux territoires à bord d'une flottille que dirige un Phénicien ombrageux. D'autant plus ombrageux qu'Enmouteff, après une expérience de mort imminente, tombe amoureux d'Elyssa, la troublante épouse du Phénicien. Quand le jeune Enmouteff se retrouve banni, une longue errance le conduit à partager le destin d'une tribu africaine où il finira par éprouver le pouvoir des masques rituels.
Un crochet dans les années trente en Côte d'Ivoire nous offre enfin une scène "inaugurale" très freudienne et particulièrement réussie sur le plan littéraire. Un jeune garçon blanc découvre sa mère avec un homme qui vient de lui offrir le fameux masque africain. Il est le témoin terrifié de cette chorégraphie violente du rapport sexuel.
Tout est en place pour inscrire les effets lointains de cette magie primitive dans la forme contemporaine du thriller. On y retrouve l'héritier du masque en conflit avec son frère, à la fois victime et suspect dans une affaire de meurtres que devra élucider une inspectrice, elle-même d'origine ivoirienne.
Dominique Faget aurait pu se perdre en route et surtout perdre son lecteur mais elle a su garder le cap. Même si l'épisode contemporain paraît faible en regard du destin d'Enmouteff dont le récit passionnant se résout "dans le commerce des rites initiatiques à des fins mercantiles et maléfiques", comme le rappelle Abdoul Dragoss Ouedrago enseignant à l'Université Bordeaux 2 et auteur de la postface, le lecteur est séduit par la vérité du personnage, par la richesse documentée de l'arrière-plan historique, par cette sensation de vivre en littérature un grand écart entre le cauchemar initiatique de Conrad et le rêve de cette "ligne claire" illustrée par Hergé.
Amateurs de vertiges, plongez donc au "cœur des ténèbres".
Celui qui ne meurt jamais – Dominique Faget – Nouveaux Auteurs – 320 pages – 18,95€ - ***
Lionel Germain