La vie continue à Bagdad. Sous toutes ses formes. La vieille Elishua Oum Daniel attend toujours le retour de son fils mort en Iran dans la demeure familiale du quartier Saint-Odisho, blotti autour de l’église assyrienne. Faraj, l’agent immobilier, lorgne sur la maison de la vieille et les trésors qu’elle recèle. Hadi le chiffonnier boit canette sur canette, se saoule et déblatère…
Il recoudrait ensemble, raconte-t-il à qui veut l’entendre, des morceaux de cadavres abandonnés dans la poussière et les gravats à la suite des attentats qui endeuillent presque quotidiennement la ville, histoire de leur donner une petite chance le jour du Jugement. Quant au jeune Hasib, mort dans l’attaque-suicide du Novotel où il était de garde, il cherche désespérément son corps pulvérisé par l’explosion.
Et la nuit, une entité sans nom que dans les quartiers populaires on appelle le Trucmuche, fait régner la terreur. Patchwork de rognures humaines, mi golem mi créature de Frankenstein, ce monstre rend la justice à sa façon, aveugle et barbare. Le fantastique fait partie de la réalité irakienne, écrit Ahmed Saadawi.
Né à Bagdad en 1973, réalisateur de films documentaires et auteur de poèmes et de romans, il est le premier écrivain irakien à avoir reçu le prestigieux International Prize for Arabic Fiction. Conte fantastique davantage que thriller, ce récit où s’enchâssent les histoires, puise sa truculence dans la culture de rue d’une mégapole de 6 millions d’habitants qui fut la cité des Mille et une nuits.
Au cœur de la ville, le vieux quartier de Batawin où voisinent chrétiens et musulmans résume à lui seul l’histoire de l’Irak: mélange impossible d’ethnies, de tribus, de cultures. La fiction permet parfois de se frayer un chemin de sens dans les aléas d'une réalité dont l'horreur nous sidère.
Frankenstein à Bagdad - Ahmed Saadawi – Traduit de l’arabe (Irak) par France Meyer - Piranha – 378 pages – 22,90€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 27 novembre 2016