C'est toujours avec impatience qu'on attend un nouveau roman de José Carlos Somoza. "L'Appât" publié chez le même éditeur Actes Sud en 2019 se nourrissait d'une érudition shakespearienne au service d'un romanesque enthousiasmant et d'une vision du monde prédictive et pertinente. Un regard qui ne nous épargne pas l'inquiétude critique comme dans cette "Origine du mal".
On y découvre d'abord le manuscrit proposé par un libraire à un ami écrivain. Rien d'innocent dans cet effacement simulé d'un réel au présent qui nous renvoie au réel différé d'une confession rédigée par un jeune phalangiste en 1957. Somoza excelle à semer le trouble dans la perception qu'on croit saisir comme vraie et qui se défait dans le passage d'un niveau de récit à un autre.
Le premier plan d'une amitié trahie entre un jeune homme et son ami de fac, devenu patron des services secrets espagnols au Maroc, éclaire les retombées de la guerre civile. Le mystère de cette confession se résume à une ligne d'introduction: "Je suis mort. J'ai été tué d'une balle dans la tête un jour de septembre 1957."
Le Maroc, protectorat français où l'Espagne maintient une présence dans le nord, et l'Algérie en quête d'indépendance, sont des nids d'espions. Mais les conséquences de la tragédie vécue par les deux hommes s'actualisent dans un épilogue de roman noir classique. Somoza y déploie les combattants d'une autre guerre pour solder les comptes de cette intime trahison.
L'Origine du mal – José Carlos Somoza – Traduit de l'espagnol par Marianne Million – Actes Sud "Lettres hispaniques" – 320 pages – 22,80€ - ****
Lionel Germain
Lionel Germain