Le
héros de polar est un demi-dieu que les écrivains modernes ont arraché au ciel.
Si la science espère triompher avec les précurseurs de l'enquête romanesque, la
critique sociale éclairer les turpitudes d'un ordre établi ou plus récemment la
béance de l'âme nous délivrer la noirceur de nos tourments intimes, c'est
toujours par le biais d'une divinité masquée dont la ressemblance avec les
hommes n'est qu'une ruse de poète.
Ed
McBain nous avait parlé du temps élastique pour expliquer la jouvence de
Carella et de ses disciples. Elizabeth George fait preuve de la même
discordance des temps avec la trinité principale de son œuvre, l'aristocrate
Linley, le légiste Saint-James et le sergent Barbara Havers.
Dans
"La ronde des mensonges", c'est ce trio là qu'on trouve en première
ligne d'une enquête délocalisée au cœur du Comté de Cumbria. Un homme victime
apparemment d'un simple accident en rentrant d'une promenade en bateau est
bientôt l'objet d'une procédure officieuse diligentée à la demande du patron de
Linley. On entre donc par effraction dans la vie privée d'une riche famille où
les secrets accumulés par chacun des membres pourraient bien justifier le
meurtre de l'un d'eux.
La victime, Ian Cresswell, est un homosexuel qui s'est
séparé de sa femme après son coming-out. Au moment du drame, il vit avec un
jeune Iranien. Son ex-épouse, à la fibre peu maternelle, cherche à lui confier
ses deux enfants, Gracie, une fillette déboussolée par la séparation, et Tim,
un adolescent aux rêves meurtriers qui se connecte en secret sur un site infréquentable.
Impossible
de donner toutes les pistes sur lesquelles le lecteur est invité à découvrir
les failles d'un univers pourtant si soucieux de convenance: rôle des tabloïds,
procréation assistée, réseaux pédophiles, famille en miettes, couples mixtes ou
maman juive. Une chose est certaine, Elizabeth George démontre une nouvelle
fois qu'en littérature, la scène de crime est un leurre. Les mouches qui
vrombissent au-dessus du cadavre ne sont pas destinées à fournir des réponses
aux enquêteurs. Elles sont là pour féconder un autre monde. Et au final, dans
cet effondrement de signes, il nous reste Simon, Linley et Barbara, moins pour
la commodité du prochain chapitre que pour assurer au lecteur un semblant
d'horizon.
La ronde des mensonges –
Elizabeth George – Traduit de l'anglais par Isabelle Chapman – Pocket – 828 pages – 9,40€ - ***
Lionel Germain Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2012