A partir d'une photo publiée dans "Sud-Ouest" en janvier 1959, Michel Boujut réinvente la vie d'une femme. Michel Boujut est mort, le 22 mai 2011.
Sur
Internet, la photo est de la taille d'un timbre poste. Un front qui prend le
large sous une poignée de cheveux fous, les lunettes baissées sur le nez pour
laisser filer un regard ironique, un sourire qui en dit long. Professeur de
philo en province, architecte, médecin de famille, le portrait invite au jeu
des ressemblances. Il est forcément troublant pour qui n'avait qu'un nom en
tête: Michel Boujut. Le nom évoque la caresse des balais sur une caisse claire,
un saxophone enroué ou la traînée floue d'un générique des années quatre-vingts,
"Cinéma-Cinéma". Romancier aussi, Michel Boujut a déjà tenté chez
Arléa de réanimer une image d'archive avec "Le jeune homme en colère"
photographié par Paul Strand. Aujourd'hui, c'est Marie Thérèse "qui
bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive".
Sur cette photo de "Sud-Ouest", on la voit aux côtés du chanteur de blues Big Bill Broonzy. Une jolie jeune femme dans un tailleur noir. Elle sourit parce qu'elle ignore encore qu'elle sera un jour l'héroïne d'un fait divers tragique. C'est cette collision entre la photo et la légende du rédacteur qui donne envie à Michel Boujut de déchiffrer l'énigme. Marie-Thérèse était la fille d'un colonel de gendarmerie de Montauban. Une éducation sans faille et un gouffre d'ennui.
La jeune fille épingle les interdits au revers de ses journées interminables. Le jazz sera sa subversion. Elle retrouve chez Billie Holiday une détresse qui la fascine. Elle fréquente un bras cassé qui la malmène. Il finira par tuer le patron d'une boite de jazz toulousaine. Fin de l'histoire.
La photo judiciaire interdit la profondeur de champ. Michel Boujut prend le prétexte de cette biographie romancée pour l'élargir à l'extrême. On revisite les années soixante, la guerre du swing menée par le guru totalitaire du Hot Club de France, Hugues Panassié, la lutte des classes larvée au cœur de cette affaire, le cinéma avec Gérard Barray, "chevalier de Pardaillan", la tribu des de Caunes avec le grand-père avocat, les ambiances poisseuses de Goodis, les nocturnes de Melville… Où l'on apprend avec l'âge que les femmes fatales ne le sont souvent qu'à elles-mêmes. On ne devrait jamais quitter Montauban.
La vie de Marie-thérèse - Michel Boujut - Rivages -
175 pages - 7,50€
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - mars 2008