L'ouragan Sandy a plongé une partie de New-York dans le noir. Au fil des reportages, on nous a présenté une ville solidaire où la débrouille et l'esprit pionnier triomphent de l'adversité. Un récit édifiant que s'emploient à déconstruire Jess Walter dans son roman sur le 11 septembre, et Ellory, sur la légendaire police de New-York.
Il y a bien-sûr la boule de feu qui obscurcit le ciel, le nuage de poussière, la foule, les pompiers survivants aux gueules noircies comme des mineurs après un coup de grisou. Il y a la chanson de geste avec ses héros et ses martyres. En reprenant l'histoire quelques jours après le drame du 11 septembre, Jess Walter déconstruit le récit officiel et convoque la mort, jamais visible et l'odeur de la mort qui bute sur nos écrans.
Son
héros, Brian Remy, est un flic blessé dont la conscience a des trous d'air. Au
point qu'il doute de la réalité d'une mission qu'on lui confie dans le plus
grand secret: rechercher une jolie jeune femme de 26 ans parlant le grec,
l'arabe et le farsi, disparue après le crash mais suspectée de ne pas être la
23ème victime de son entreprise. Ce sont évidemment ses liens avec
un expatrié Saoudien qui alimentent les soupçons des enquêteurs. Se dessine peu
à peu le portrait d'une société délirante et cupide, pressée de nettoyer la
zone et de fourguer l'acier aux mafias locales. Brian Remy n'a plus de mémoire
mais son amnésie s'insère parfaitement dans la paranoïa institutionnelle. La
bannière étoilée apparaît alors comme le logo d'une entreprise dont les
milliers de succursales se livrent à une compétition féroce pour arracher le
marché de la perpétuation du mythe. Dans la béance sucrée du rêve, Jess Walter
orchestre le bal tragique des petits actionnaires.
Le Zéro – Jess Walter – Rivages – 314 pages – 21,50 euros - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 5 février 2012
LES BELLES HISTOIRES DE L'ONCLE SAM
Dans le dictionnaire du crime, ils ont une proximité
alphabétique troublante. Mais le très Britannique Ellory et l'Américain Ellroy
n'ont pas qu'une anagramme en commun, ils ont aussi un territoire romanesque
peuplé de personnages cabossés affrontant le revers des mythologies. Quand
Ellory brosse une histoire de la police new-yorkaise, c'est pour en finir avec
les légendes colportées lors des cérémonies officielles. Les belles histoires
sont rarement vraies.
D'ailleurs à New-York, les Anges, c'est le nom qu'on
donnait aux flics dans les années cinquante, l'époque où la mafia passait la
surmultipliée avec le contrôle du fret aérien. Le héros, Frank Parish est un
flic solitaire, divorcé et en demi-solde après la mort en mission de son
partenaire. Son père était une légende vivante dans les années soixante et
c'est bien-sûr chez le psy qu'il brise l'idole en retraçant les liens
d'affaires qu'entretenait le crime organisé avec les différents services de
police. Même s'il y a quelque chose d'un peu convenu désormais dans sa façon de
construire ses intrigues, Ellory réussit parfaitement à mener de front les
rapports compliqués d'un fils avec son père et le récit de l'enquête en cours
qui plonge au cœur du mal, là où l'innocence fait naufrage et où comme le
chante si bien Tom Waits, on ne trouve pas forcément le diable mais peut-être
"Dieu quand il est soûl".
Les Anges de New-York – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau – Sonatine – 554 pages – 22,30 euros - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 18 mars 2012