"Totus mundus agit historionem", cette citation de Pétrone inscrite en façade du Globe theatre à Londres, au moment où Shakespeare en devint actionnaire, donne la tonalité du roman de José Carlos Somoza. Après avoir renvoyé le passé au présent grâce aux dernières découvertes de la physique dans "La théorie des cordes", repousser l'art contemporain aux limites de la cruauté conceptuelle avec "Clara et la pénombre" et bousculer la crédulité religieuse avec "La clé de l'abîme", il installe dans "L'appât" le paysage romanesque de son futur proche à partir du monde comme représentation.
"Le monde est un théâtre" disait Pétrone et Shakespeare en est le maître incontesté. Fondé sur une intrigue qui emprunte ses codes au polar (un tueur, des victimes et des enquêteurs en chasse), le roman imagine une police de l'âme capable de cartographier les comportements humains avec des ordinateurs quantiques. Restent aux enquêteurs à "appâter" le criminel en mimant son objet du désir. La règle du jeu se cache dans tous les personnages inventés par Shakespeare. Ces histoires totalement irréalistes ne racontent pas le monde mais elles ont une légitimité interne qui fait de Somoza un écrivain certainement plus proche de Borges que de Chandler.
L'appât – José Carlos Somoza – Traduit de l'espagnol par Marianne Millon - Actes Sud – 410 pages – 23 euros - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 4 décembre 2011