C'est amusant d'observer que la densité d'un livre est parfois inversement proportionnelle à son nombre de pages. Prenez Christophe Carlier. En 156 feuillets, il vous trousse une variation policière nourrie sans excès d'une culture qui irrigue ce polar en trompe l'œil. Car il s'agit bien d'une illusion.
Dans le décor codé d'un grand palace parisien, un client est certes assassiné dans sa suite mais l'assassin, aussi anonyme que l'homme à chapeau melon dont Magritte dissimule le visage derrière une pomme verte, n'est que le symptôme d'un monde ou l'effacement est programmé.
Pour Christophe Carlier, "les scènes de hall ont un négligé intemporel qui incline à la rêverie…". Dans un petit essai paru en 1922 et intitulé "Le Roman policier", Siegfried Kracauer analyse le roman policier comme une théologie du Néant dont l'hôtel est le temple idéal.
Les personnages de "L'Assassin à la pomme verte" sont d'abord des préjugés avant que le regard croisé des uns et des autres ne leur confère une épaisseur toujours trompeuse.
Il y a Sébastien de la réception, étudiant aux Beaux-arts, observateur et animateur secret des ombres qui défilent devant lui. Il y a aussi Elena, une jeune femme qui travaille dans la mode, mariée en Toscane et mère de deux enfants. Il y a enfin Craig, universitaire anglais venu d'Amérique, misanthrope et presque sociopathe. Elena le voit comme un intellectuel arrogant, lui la compare à la madame de Merteuil des "Liaisons dangereuses" de Chloderlos de Laclos.
"Elle était assez jolie pour se croire belle", obsédé par une citation dont il a oublié les références, Craig, dont le nom évoque un escargot qu'on écrase, s'efface à son tour. Christophe Carlier laisse poindre les raisons de cet effacement. Une pathologie qui ressemble à une métaphore de la modernité.
Succession de monologues intérieurs, le roman revient habilement à la préoccupation épistolaire de l'auteur dans un épilogue savoureux et cruel.
L'assassin à la pomme verte – Christophe Carlier – Pocket – 157 pages – 5,80€ - ***
Lionel Germain