A un mois de la retraite, le gendarme Zapala est chargé d'un transfert de prisonnier, une jeune fille qu'il devra conduire en train jusqu'à Bordeaux pour qu'elle puisse témoigner dans un procès aux implications politiques. A un mois de la retraite, le gendarme Zapala se sent vieux et usé. S'il continue à vivre malgré la perte de sa femme, c'est un peu grâce au réconfort que lui procure Arthur Keelt, l'auteur autrichien de "Die Amsel", (Le Merle).
Le transfert va prendre des allures de cavale quand des tueurs voudront liquider la jeune fille, Alix, qui possède la clé d'un petit coffret convoité par les assassins. Zapala mettra la clé à l'abri dans son tube digestif et, désormais poursuivis par des hordes très officielles, les deux fugitifs termineront leur aventure dans les faubourgs de Carcans.
Maniant la facétie avec sérieux, Pouy écrit un roman dans lequel on en apprend beaucoup sur le transit intestinal. En indou, le shank prakshalana est la purge qui lave le corps et l'âme. Du gros sel dans de l'eau bouillie. S'il veut récupérer la clé qui donnera un sens à ce qu'il a fait, le héros doit subir l'épreuve. Se purger de toutes les angoisses qui l'entravent. "La peur n'est qu'un épuisement de la volonté", dit Arthur Keelt et encore: "Vidons-nous, vidons-nous, nous aurons un peu de l'immensité en nous."
Le livre se referme sur une très belle énigme dont la solution est dans les toutes premières pages.
On se dit parfois, béatement, qu'une vie est bien remplie comme si le bonheur se réduisait à cette sanctification occidentale de l'abondance. Jean-Bernard Pouy essaie d'en finir avec l'épaisseur de son personnage. Mais cette mutation ne peut pas se produire parce que cet être pur livré au monde avec pour seuls bagages la sagesse du bouddhiste autrichien Artur Keelt n'aurait aucune réalité. Jean-Bernard Pouy n'est pas innocent au point d'évacuer ce genre de questions en tirant la chasse d'eau.
Au tournant de sa vie, quand le vieil homme a jeté son képi dans la boue, il a imaginé que la marée montante l'emmènerait jusqu'en Amérique. Puis il a utilisé un imparfait du subjonctif et cet imparfait du subjonctif lui a fait se souvenir des raisons de son incorporation dans la gendarmerie. Alors seulement, il a vu à quoi ressemblait le "tournant" de sa vie: "Une immense pleine de vase. Grise et crémeuse sous un ciel lourd."
Voyageur mental et poète, on pourrait dire de Jean-Bernard Pouy, en paraphrasant Yves Bonnefoy dans sa préface à Mallarmé, "qu'étonné et déçu par l'être empirique, il a reporté son espoir sur les virtualités" de la littérature.
"Elle ouvre quoi, cette clef?
-Merde.
-Justement… On en est là…"
FMRQBC: le champ du signe.
La clef des mensonges – Jean-Bernard Pouy – Folio Gallimard – 192 pages – 5,60€ - ***
Lionel Germain
Malgré mon ironie un peu arrogante, j'ignorais à l'époque qu'Arthur Keelt était une création de Jean-Bernard Pouy. Ce qui ne manque pas de sel comme dirait un amateur de shank prakshalana. Pour me venger je lui ai volé le titre qu'il m'avait confié vouloir donner à son roman et que la Série noire lui a refusé.