Dans le roman d'Alexandre Civico, il y a d'abord un homme "qui surgit du brouillard". Comme le train de 7h45 dans la petite gare d'Atmore au fin fond de l'Alabama. L'homme est français et ce bout d'Amérique est son point de rendez-vous. Il y aura trente-trois jours pour comprendre le sens du voyage et près de quinze heures en dix-huit chapitres pour fêter ce jour de gloire du William Station Day où Atmore, comme le reste de l'Amérique, s'inventait dans la vie du rail.
Alexandre Civico fait du mystère du Français l'occasion d'accéder avec un œil froid à cet autre mystère qu'est l'Amérique. Une nation que le regard de l'autre explore sans bienveillance, "avec sa peau grenue, ses vergetures et (…) ses couleurs stridentes." Noirs et Blancs coiffés des mêmes casquettes s'y partagent l'espace avec un devoir de réserve, les Indiens ont perdu la mémoire et dansent devant le casino. A l'intérieur, des obèses s'abiment devant des écrans pourvoyeurs d'une musique obsédante.
Il y a ces armes que l'on célèbre dans d'étranges foires où même les enfants s'entraînent au plaisir de donner la mort. Une Amérique du simulacre permanent, amoureuse du faux qui pullule sous la forme de sosies pathétiques, Marilyn, Elvis, Johnny Cash, comme pour s'étourdir dans l'idée qu'elle se fait d'elle-même.
Mais la véritable destination de l'homme est "une immense cathédrale païenne aux tours vitrées", une prison et son couloir de la mort dont l'auteur prépare l'épiphanie, laissant deviner quelques fragments de la douleur originelle, organisant chaque chapitre comme autant de coups de gong avant la promesse du KO sur le ring.
Atmore, Alabama - Alexandre Civico - Babel Noir - 150 pages -6,80€
Lionel Germain
Lionel Germain
Lire aussi dans Sud-Ouest
version papier