Pour qualifier l'œuvre de Benjamin Dierstein, on pense à Ellroy (l'auteur le cite dans ses références), et à David Peace (mentionné en quatrième de couverture). Du côté d'Ellroy, l'angle de prise de vue est manifeste, à hauteur de flics parce que c'est là que se nouent et se dénouent les sacs de nœuds d'un monde à double face, celle du vice se taillant la part du lion. Le style aussi, avec des redondances, des anaphores, des phrases nominales qui rythment une intrigue consacrée à des personnages en perdition.
A la manière de David Peace également, nerveuse et parfois convulsive, l'auteur effectue un zoom arrière sur l'histoire contemporaine dont l'exploration commence en 2011. Les deux premiers volets de la trilogie, "La sirène qui fume" et "La défaite des idoles", se referment sur cette "cour des mirages" en 2012. Et en France, c'est la campagne électorale qui agite les états-majors policiers. Sarkozystes et socialistes préparent les purges et les placards.
La victoire de la gauche provoque un jeu de chaises musicales et de reclassements qui affecte la commandante Laurence Verhaeghen, expulsée de la DCRI pour atterrir à la Brigade criminelle. Elle y retrouve Gabriel Prigent, un autre flic lui-même en fin de vie professionnelle.
Pour allumer la mèche du désastre, un politicien se suicide après avoir assassiné sa femme et son fils. Mais le roman fait exploser le cadre des procédures par la grâce vénéneuse de cette femme flic qui règle ses comptes de façon définitive et se fait piéger dans le chantage politique auquel une partie de sa hiérarchie la condamne.
Benjamin Dierstein met en branle un cirque monstrueux: corruption au plus haut niveau, délinquance financière et circuits criminels de la pédophilie. On flirte avec les rumeurs complotistes, on danse avec le diable, la faute à cette magie du roman noir et à ces personnages de tragédie qui trébuchent au bord de l'abîme.
La cour des mirages – Benjamin Dierstein – Les Arènes Equinox – 864 pages – 22,90€ - ***
Lionel Germain
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