Un
homme, un garçon. Et deux absences: l'enfant de l'un, la mère de l'autre, ou
comment parfois la mort saisit le vif. Pour Pierre Vilar, flic au commissariat
de Bordeaux, ce fut ce jour de la fin de l'hiver 2000 où son fils ne revint pas
de l'école. Disparu. Enlevé. Pour Victor, collégien à Bacalan, quand, de retour
chez lui, il trouve le cadavre massacré de sa mère. De profundis. Il n'y a pas
d'âge pour la douleur, pas d'âge pour que le monde soit à jamais désert, pas
d'âge pour l'expérience du mal.
Et pendant que Victor, de foyer en famille
d'accueil, avec pour seul viatique l'urne contenant les cendres maternelles
sous le bras, dérive dans un "après" périlleux et incertain, Vilar
mène l'enquête et, de Bordeaux au Médoc, de Mérignace à Castillon, croisera en
chemin les échos de sa propre histoire et de son chagrin. "Passé le pont
de pierre, les fantômes vinrent à sa rencontre" en quelque sorte…
Tant
de douleur… Tant de morts… Et ces "Cœurs déchiquetés", impressionnant
nouveau roman d'Hervé LeCorre, aurait aussi pu s'intituler "La Douleur des morts", si ce
n'était déjà le titre de sa première œuvre, parue voici près de vingt ans.
Après une incursion particulièrement réussie ("L'Homme aux lèvres de saphir") du côté du XIXème siècle, de
Lautréamont, de Paris et de son petit peuple, LeCorre est de retour parmi les
siens, dans cette "principauté
noire", quelque part entre la rue Blanqui et la rue Achard, où il
s'est solidement installé comme l'un des maîtres de ce que l'on appelait encore
voici peu le "néo-polar".
Au
fond, il écrit peu ou prou toujours le même livre; et cela serait plutôt pour
nous rassurer tant l'obsession est trop constitutive de ses personnages (la
nuit, la perte, la ville comme "capitale de la douleur") pour ne
l'être pas aussi de son auteur. Et de Modiano à Marìas, il n'est de grand roman
que dans le ressassement. La terrifiante noirceur de celui-ci l'apparente en
effet, comme s'en prévaut son éditeur, à l'univers du grand Robin Cook, mais
aussi au maître-étalon du polar à la française, Jean-Patrick Manchette, ainsi
sans doute qu'au tristement perdu de vue Hugues Pagan et son funèbre "Mort
dans une voiture solitaire".
Mais ici, le nihilisme désespéré se teinte
des couleurs de la profonde humanité avec laquelle LeCorre décrit les réprouvés
de l'histoire: femmes battues et oubliées, orphelins comme autant d'anges aux
figures sales. Et il n'y a pas de nuit qui ne soit aussi une promesse de l'aube
comme en ces pages splendides (et très "Nuit du chasseur") où, au
cœur du Médoc, un enfant perdu, traqué par un homme qui pourrait être son père,
se laisse dériver au fond d'une barque, au fil de l'eau et du fleuve. Après?
Après, cela s'appelle l'aurore.
Les cœurs déchiquetés –
Hervé LeCorre – Rivages – 381 pages – 20€ -
éditions poche Rivages – 480
pages – 9,65€ -
Olivier
Mony – Sud-Ouest-dimanche – Juin 2009
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