Quand Hervé LeCorre publie son premier roman en
1990, "La douleur des morts", Bordeaux s’offrait sans masque pour
toile de fond d’une intrigue dure dans laquelle un père désespéré coursait le
fantôme de sa fille assassinée. Et surprise pour les amateurs de clichés, la
ville aux senteurs "de vieille pierre" frissonnait d’un drame
contemporain. C’était oublier que la puissance communicante de notre monde
"a liquidé l’ailleurs", comme dit Baudrillard. Le roman noir, produit
d’importation, élargissait le champ du rêve (américain), versant sombre d’une
littérature d’évasion inoffensive.
En 1990, le sésame du cybermonde était le 3615. Le
Béarn et l’Artois se connectaient avec la même frénésie pour éponger les mêmes délires. A l'instant où vous reconnaissiez Bordeaux dans le roman d’Hervé Le Corre, sa
singularité s’effaçait et la ville n’était plus que le lieu du crime. Une ville
identique à toutes les autres, avec des ombres qui se poursuivent sans jamais
s’atteindre, des salons de massage et des fêlés de messageries roses.
Promenant
ses souvenirs de Bacalan au lycée Montaigne en passant par la Cité Lumineuse
qui attend son heure, il publie en 1993 "Du sable dans la
bouche". L’irruption de la tragédie dans une histoire de femme blessée qui
vient régler ses comptes. Bordeaux, Bayonne, le Médoc, la géographie du drame
est précise. Non sans raison puisque les protagonistes de l’affaire
s’inscrivent dans la mouvance du terrorisme basque. Voilà enfin le lieu du
crime assigné par l’Histoire. Sauf que l’Histoire n’est qu’un prétexte. Le vrai
sujet, c’est Antigone et son martyre.
En 1996, il poursuit son exploration urbaine dans un
troisième livre, "Les effarés". Sur
les ruines désormais de cette Cité Lumineuse. Il n’y est pas né mais "il a
vécu ici. (…) C’était rempli de pauvres pleins de problèmes. On a viré les
pauvres, en les priant d’emporter leurs problèmes ailleurs." La rage est
rimbaldienne, "l’ordre règne et la canicule tient la rue."
Alors, Bordeaux, Barcelone, Paris, San Francisco ou
même la Lune (Copyright), l’exégèse peut se laisser distraire par des nocturnes
de circonstance, mais l’auteur se tient au large avec ses créatures. Le roman
noir n'a pas de patrie.
Trois
de chute – Pleine Page-Ours Polar – 13€ - rassemble trois romans publiés en
Série noire -
Lionel Germain – d'après
un article publié dans la revue du CRL