Dès l'ouverture du roman d'Audrey Najar, on devine que le bonheur n'est pas dans l'escalier de cette résidence d'apparence si paisible. Ni la concierge d'ailleurs, parce que le syndic a dû s'en séparer pour faire des économies. Aziz, peut-être? Il est celui qui sort les poubelles, arrose les plantes, nettoie les halls et découvre les cadavres. "Il n'y a rien de plus banal que la mort" nous dit l'autrice pour nous mettre en appétit. Le deuil défait les évidences de la lumière. Cinq mois avant ce meurtre inexpliqué dans le prologue, l'ensemble résidentiel vivait au petit bonheur des drames domestiques, et c'est sur un couple sans histoire qu'on braque les projecteurs.
Elizabeth et Hervé ne sont plus que la somme de tous les renoncements auxquels ils se sont convertis après la mort de leur enfant. Elle, travaille encore, lui ne guette plus que son retour. La soixantaine les cueille dans cette soumission aux bonnes manières. Elle renvoie d'eux une image lénifiante. Mais comment se défaire de cette blessure terrible? Chez Hervé, elle intervient après une succession de défaites narcissiques accumulées depuis l'enfance.
Audrey Najar se saisit alors des failles du personnage pour dire le désenchantement social que va provoquer la rencontre avec un couple récemment installé dans la résidence.
Laurent et Panya, ces nouveaux arrivants, "trop beaux pour être gentils, trop souriants pour être sincères", sont désormais les voisins du dessus. Ils sont si jeunes, avec des enfants tellement doués, tellement vivants. Leur chien s'appelle "Vanille". Dès la prochaine réunion du syndic, le charismatique Laurent est en passe de ravir la présidence promise à Hervé qui pourtant n'a rien d'autre à faire.
Et ce qui chez eux enthousiasme la femme d'Hervé contribue à nourrir le désespoir paranoïaque de celui-ci. Tout est en place pour l'ordinaire du drame. Voilà un premier roman à la construction impeccable qui évoque le meilleur de G.J. Arnaud.
Ordinaire – Audrey Najar – Le Masque – 234 pages – 19€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain
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