Quand un auteur donne de ses nouvelles, on obtient parfois par pointillés son bilan de santé provisoire. Dans ce recueil, Sergueï Dounovetz a rassemblé quelques-uns des textes dont le fil conducteur a ravaudé son propre parcours. Le rock en irrigue l'inventaire rappelant qu'après avoir vendu des poèmes à la criée, il a fondé en 1976 le groupe de rock garage "Les Maîtres-nageurs".
Dès la première nouvelle, "Mercenaires", son avatar apparaît sous les traits de Socrate, grand-père de Cora, la narratrice. Une gamine de 14 ans biberonnée au répertoire des Clash, notamment l'album Sandistina dont la ligne de basse est un modèle du genre. C'est Socrate en arrière-plan qui configure le destin de l'adolescente au moment où lui-même disparaît sur un brancard dans les couloirs de l'hôpital.
"Ma famille est un mystère. Ma grand-mère a disparu en mer dans l'une des premières courses en solitaire, mon grand-père libertaire s'est engagé dans la Légion étrangère, mon père est un suceur de bites, ma mère a sauté dans l'inconnu, je soupçonne mon frère d'être un agent du Mossad ou un trafiquant international et sa moitié d'être l'héritière d'une chocolaterie nazie. Pour compléter le tableau, je suis toujours vierge à quatorze ans et une véritable énigme pour mes copines."
Loin du rock garage mais en gardant un bon tempo, "Killer bees" est un hommage piquant au neurobiologiste Martin Giurfa, spécialiste en cognition animale. En fait, la musique n'adoucit pas les mœurs. Elle barricade les tribus derrière des murailles chaloupées ou cadencées en ternaire ou en binaire. Et ne parlez pas de rap à Antonin le stoppeur acariâtre de "Gille est jaune". Après un bon coup de sang contre la blonde platine qui lui offre un bout de banquette, Antonin se transforme en shérif Calder de la "Poursuite impitoyable" quand les gilets jaunes tenteront de la brutaliser au rond-point.
Dans "Cactus", Clovis aimerait se faire sacrer empereur de la drague à Saint-Denis. Mais la montée vers l'extase est une descente aux enfers entre alerte au colis piégé et délices du RER-D, en compagnie d'une jeune femme dont le sex-appeal est à géographie variable.
Les nouvelles ont souvent la morosité d'un post-it sur lequel on griffonne pour caler un souvenir. Celle intitulée "Rapetou" prend comme prétexte une virée au monop, enchaîne les digressions maussades entre deux gorgées de vin violet et réhydrate la rengaine du groupe OTH, prétexte à verser une larme avec le "rap des Rapetou" sur le mitan des années 80.
Au détour d'une page, on retrouve Chefdeville derrière lequel se planque volontiers Sergueï Dounovetz. "Les balles perdues sont innocentes" est un condensé de remords paternels. La vie l'a séparé de ses filles qu'il retrouve un soir devenues jeunes femmes sur le paillasson de son immeuble. Cette mélancolie du bonheur familial est au cœur du joli roman publié en 2016 au Dilettante, "L'Amour en super8" signé Chefdeville.
Et soudain, on déboule en plein roman noir, scénarisé façon Polanski pour Chinatown. C'est un "Poème japonais" avec un Nicholson de Bondy en mission dans les repères de la mafia chinoise de New-York. Un haïku sonorisé par la National Rifle Association et trempé dans l'hémoglobine, poudre et sang.
Aussi noir que du jus de chique, le purin de la haine irrigue encore les trottoirs de Belleville. La nouvelle "Cœur de pierre" est un western où se font face communauté chinoise et arabe. Reste le Piranha du titre à reloger dans la conscience d'un narrateur musicien qui se verrait bien braquer l'ancienne banque de France de Béthune reconvertie en musée. De quoi se retrouver à la Santé. Vous nous y donnerez de vos nouvelles Monsieur Dounovetz.
Un piranha ne fait pas le printemps – Serguei Dounovetz – éditions Zinédi – nouvelles – 208 pages – 17,90€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain
Lire aussi dans Sud-Ouest