Quand un jeune homme fait un plongeon de 68 mètres du haut du pont de Saint-Nazaire, c'est le suicide qui prime pour expliquer cette mort. Transformer un suicide en meurtre, si c'est une affaire d'intuition pour le capitaine Marc Ferré, il faut que ça se termine en preuve. C'est donc de la patience, de l'obstination et du temps. Dans l'espace romanesque, la contraction du temps permet d'éviter le naufrage du lecteur. Rares sont les écrivains qui savent résister à ce principe élémentaire. Emmanuel Grand en fait partie. Près de 150 pages pour aboutir à la certitude que Franck Rivière, jeune homme de 21 ans aux appétits de vivre indiscutables, "a été poussé par-dessus la rambarde". Et pas un soupçon d'ennui pour l'amateur de navigation en eaux troubles.
Entre deux rives, la Loire fissure le continent pour assouvir un rêve de grandeur, un bouillon d'estuaire qui fécondera les pétroliers puis les paquebots géants dans les Chantiers de Saint-Nazaire. "Travailler aux Chantiers", comme le père de Marc, c'est rejoindre l'aristocratie ouvrière que les révolutions industrielles ont menée à l'échafaud.
Sur l'autre rive, tous les hommes ne sont pas de bonne volonté. Il y a les profiteurs, les vrais truands et les révolutionnaires "bourgeois". Ceux qui ont les avoirs, le savoir et le bavoir trempé d'une parole prophétique à destination d'un peuple fantasmé dont Franck était l'icône du moment.
La lutte des classes attrapée sur le vif, sans explication de texte, avec des hommes et des femmes en mouvement ou les pieds collés à la glaise du mauvais côté de la berge.
Sur l'autre rive – Emmanuel Grand – Albin Michel – 522 pages – 21,90€ - ****
Lionel Germain
Lionel Germain