Manhattan Caplan est journaliste. Son point faible se niche dans les tripes, un semblant de colon irritable qui l'expédie aux toilettes au moindre coup de stress. Et son état général se complique avec un soupçon d'achromatopsie: Manhattan ne voit la vie qu'en noir et blanc.
Pour espérer un peu de rose, elle consulte une psychiatre dont le désastre personnel se délivre en miroir dans les confessions de sa patiente. En fait, rien ne va pour Manhattan, son mari menace de l'abandonner en la privant de son fils, son avenir professionnel ne tient plus qu'à un scoop qu'elle doit impérativement trouver. Miracle, un peu avant Noël, une brochette de pendus se balancent dans les coursives d'un centre commercial et devrait permettre à Manhattan de réaliser son reportage de la dernière chance.
Sur le versant policier de l'enquête qui démarre, le commandant Jan Nowak est le portrait type du psychopathe pour lequel chaque scène de crime est un moment d'extase. "Il n'aime personne et personne ne l'aime. Sauf les femmes avant de le connaître." Très vite, la piste principale de ce suicide organisé mène à SEMIA, acronyme d'un croisement monstrueux entre un producteur d'algorithme surpuissant et l'ensemble des données qui traînent sur les réseaux sociaux. Une capacité à anticiper les désirs de chacun et une formidable machine à cash pour les vendeurs de rêves.
Manhattan puise dans ses ressources de "fouineuse" pour mettre à jour une vérité qui nous promène du côté de la forêt des pendus du mont Fuji et dérange une enquête officielle soucieuse de protéger les intérêts proches du pouvoir.
Audrey Gloaguen, elle-même journaliste d'investigation à France2, est désormais une réalisatrice de documentaires sur France5. On lui doit notamment "Inceste, que justice soit faite" diffusé en 2019. Avec cette première fiction, elle s'impose comme une romancière de talent, grâce en partie à des personnages aussi inattendus que vraisemblables.
Semia – Audrey Gloaguen – Série noire Gallimard – 544 pages - 21€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain