Quelque part entre le sérieux éblouissant de "Tristes tropiques" et la monstruosité littéraire de "La Maison des feuilles", le roman de Francis Mizio est d'abord une aventure en soi.
Une souscription, des années de latence ponctuées de réapparitions de l'auteur sous forme de missives hilarantes essayant d'expliquer l'insurmontable épreuve que constituait la réalisation du projet initial, l'abandon provisoire, puis l'arrivée surprise sept ans plus tard d'un pavé de cinq cent cinquante-quatre pages. Pour les éditions "Le Niveau Baisse" qui ont eu la douleur d'enterrer quelques souscripteurs, la délivrance s'est jouée sans péridurale.
A Lévi-Stauss, Francis Mizio emprunte parfois le sérieux d'un exposé ethnologique sur les tribus guyanaises, à Danielewski, le parcours buissonnier des bas de page interminables où "La Maison des feuilles" perdait ses lecteurs. Mais si les tribus guyanaises de Francis Mizio n'existent pas, Macroqua et VaniVani esquissent sur les rives de l'Approuague une guerre burlesque qui mime le désastre bien réel auquel nous nous sommes condamnés.
Quand le chaman Jean-François Macroqua, alcoolique repenti de retour de métropole, veut changer la vie de son village, il a face à lui les VaniVani décidés à transformer le leur en succursale de Las Vegas. Sans avoir mis le pied en Guyane, Francis Mizio a ingurgité des centaines de documents pour maintenir l'invraisemblable entre les frontières du réel. Un réel décliné en escales correspondant aux cinq mondes supposés des Macroqua. Ce qui nous vaut des chapitres de réalité "dure", puis "douce" puis "floue" ou "molle" sous la caution d'un hypothétique "Cahier d'anthropologie insolite".
Un avertissement aux grincheux, qui prendrait ce "lourd délire" pour du mépris, nous renvoie à Swift et à sa "Modeste proposition pour empêcher les enfants pauvres d'être à la charge de leurs parents". L'auteur irlandais affirmait qu' "un petit enfant en bonne santé, bien engraissé, est, à un an, un mets tout à fait délicieux, nourrissant et sain, qu'il soit étuvé, cuit au four ou bouilli".
On avait beaucoup ri en lisant "La Santé par les plantes", on rit encore avec ce bouquin inclassable mais la fable est transparente et l'histoire a une fin, avec des personnages dont l'excentricité nous ramène au constat qu'on aimerait s'épargner: la planète est au bout de ce qu'elle pouvait offrir. Et nous contemplons sans doute la "sobriété" des tribus dites primitives comme le futur qui nous attend.
Au lourd délire des lianes – Francis Mizio – Le Niveau Baisse (auto-édition) – 554 pages – 21€ sur le site de l'auteur - *** –
Lionel Germain
Lionel Germain