Comme souvent dans le polar, la victime n'était pas un ange mais un entrepreneur tellement corrompu que la moitié de l'Espagne, cette moitié qui tient les cordons de la bourse, lui avait versé son obole. Un flic honnête (ça existe aussi dans le polar) privatise donc la procédure pour ne pas insulter l'avenir, et la confie à Txema Arregui, le privé le plus déjanté de la péninsule ibérique.
Après "Je reste roi d'Espagne", Carlos Salem remet en selle ce détective emprunté à la "mythologie du roman et du film noirs" mais qui n'a de cesse de la faire mentir. Quand Sherlock Holmes avait un faible pour la solution prohibée à 7% de cocaïne, Txema Arregui dope ses petites cellules grises dans la fréquentation des sex-shops. Les femmes fatales ne sont ni blondes ni rousses, elles ont les cheveux verts. Dalia Aguilar, cheveu vert et manteau rouge, cliente entre deux portes, le charge de retrouver son chat Patty.
Tout Carlos Salem se niche dans l'humour tendre de ces errances déductives, des personnages frôlés dans le flou sépia d'un vieux film sans qu'on ne soit jamais saisi par le ridicule. Et bien-sûr, en guest-star, associé improbable du détective, Johnny Bourbon, roi émérite avide d'échapper au décor guindé du Palais de la Zarzuela, à sa mauvaise conscience de chasseur de fauves et à l'ennui d'une retraite forcée.
Méfions-nous des femmes aux cheveux verts, des "Dahlia rouges" qui ont perdu leur chat, mais admirons ce duo fantasque, le Roi d'Espagne et Txema Arregui, cherchant à redonner du sens au combat aussi absurde qu'éternel que se livrent le "bien" et le "mal". "Tous les Juifs ne sont pas des banquiers, pas plus que tous les musulmans ne sont des terroristes ni tous les Gitans des dealers."
Et si Carlos Salem pense encore que le coupable ce n'est pas le majordome mais le "système", le lecteur lui s'en moque un peu. Ce qu'il veut, c'est prolonger le plus longtemps possible cette virée insolente avec le Roi des privés et son pote le "dur-à-cuire".
La dernière affaire de Johnny Bourbon – Carlos Salem – Traduit de l'espagnol par Judith Vernant – Actes Sud actes noirs – 224 pages – 21€ - ****
Lionel GermainLire aussi dans Sud-Ouest