"Que faisais-tu avant d'avoir ces diamants?
Je les voulais."
Le dialogue entre Charles Boyer et Hedy Lamarr est tiré du film "Algiers" de John Cromwell, adaptation américaine en 1938 de "Pépé le Moko" de Julien Duvivier réalisé un an plus tôt. Cette Hedy Lamar si troublante dans son tête-à-tête avec Charles Boyer auquel dans son réduit de la Casbah d'Alger elle demande s'il connaît Paris: "La rue Saint Martin, Champs-Élysées, la Gare du Nord"…, toute la mélancolie de l'exil en quelques répliques, et cette présence de l'actrice autrichienne qu'on retrouve au cœur d'une super production littéraire de Dominique Maisons.
Quelques années plus tard, très précisément le 17 mars 1953 dans le Comté de Nye au Nevada sur le site de l'essai Mercury, la star s'appelle "Annie" et elle provoque un magnifique champignon scénarisé par l'armée américaine.
Santino Starace, prêtre catholique qui ne croit plus en Dieu continue d'officier pour les âmes noires de Las Vegas. Sa chapelle en bois construite par de vrais chrétiens est le seul monument authentique du Las Frontier Village, ville de pionniers en toc, où le saloon en mars 1953 est décoré aux couleurs radioactives de cette bombe qui a explosé au Nevada.
Les mafieux qui tirent les cordons de la bourse hollywoodienne espère l'indulgence de la Legion of Decency du père Starace pour "Tant qu'il y aura des hommes", le film avec Frank Sinatra, un protégé de la "Famille". Starace lui n'a d'indulgence que pour la sensualité irrésistible de son jeune amant mexicain. Ce qui lui vaut l'attention des services secrets de l'armée et notamment du Major Chance Buckman, lui-même menacé par ses dettes de jeu auprès des bookmakers. Contraint par ses supérieurs de faire équipe avec Annie Morrison, une rousse aussi flamboyante que la bombe du Nevada, Buckman est sommé de rassembler des producteurs indépendants pour contrer la puissance des "Majors".
Les syndicats du crime n'ont pas mis la main sur les studios. Ce sont les studios qui se sont développés sur la plus-value du crime, chaque producteur ayant son frère jumeau au bureau du vice organisé: "La MGM tenait son propre bordel, chaque studio avait son revendeur de drogue."
Dominique Maisons nous raconte comment la toute-puissance qui champignonne dans le désert du Nevada s'appuie sur un outil de domination non moins massif concocté sous les spots de la MGM. Larkin Moffat, producteur dans la débine aimerait tourner "Don Quichote" mais il en est réduit à des westerns crépusculaires avec de vieux acteurs alcooliques et toxicomanes. C'est sur lui que parie l'armée à hauteur de deux millions de dollars empruntés à la mafia. Quand l'USAir Force autorise l'apparition des dernières merveilles de son arsenal, il est logique qu'elle impose son droit de regard. Ou qu'elle s'intéresse de très près au tachitoscope qui consiste à insérer une vingt-cinquième image par seconde pour créer une "suggestion hypnotique" sur un produit masqué, boisson gazeuse ou bannière étoilée.
Au-delà du pacte moral détaillé par la Legion of Decency, se profile également la question raciale. L'agent de la CIA infiltré dans les sphères dirigeantes de la Paramount exige une vision pacifiée du "nègre" que démentent les lois toujours ségrégationnistes en vigueur.
Mais les deux millions de dollars nous ramènent peu à peu aux fondamentaux du polar. Là où planent toujours les fantômes épinglés par Kenneth Anger dans "Hollywood Babylone", Dominique Maisons confie les plus beaux rôles à des femmes vraies ou inventées. Son portrait d'Annie Morrison qui a gagné ses galons dans l'armée après avoir refusé un statut de "veuve de guerre", celui plus troublant de Liz Montgomery qui rôde dans le sillage sensuel d'une starlette, et la réinvention magique d'Hedy Lamarr, nous renvoient aux grands classiques du roman noir, aux familles toxiques de Ross McDonald ou aux femmes perdues de Raymond Chandler.
Avant les diamants – Dominique Maisons – Éditions de La Martinière – 520 pages – 21,90€ - ****
Lionel GermainLire aussi dans Sud-Ouest