La déferlante fantasy sur la SF contemporaine s’explique peut-être par le déficit d’anticipation caractéristique de notre monde en crise. L’auteur de ce petit roman, Thomas Day – autrement dit Gilles Dumay, directeur de collection, et l’un des principaux animateurs de la revue Bifrost, relève à sa manière le défi.
Son héros, Judicaël, petit vaurien paumé, fait les 400 coups dans un Saint-Malo uchronique où la guerre de 14 s’est éternisée sept longues années. Le monde est malade, le soleil ne perce plus la taie purulente qui englue le ciel. La fille qu’il aime aussi, irradiée par des technologies nouvelles qu’expérimentent des savants fous. Commence alors une course folle contre la mort, Judicaël cherche un remède dans les livres, la magie, à Hauteville House puis dans le Kerry.
Dans cette Irlande-là, plus consensuelle, Michael Collins ne tombe pas sous les balles de l’I.R.A., et les elfes aident l’armée républicaine à punir les sinistres Black and Tans – et, à l’occasion, secourent les amoureux. Un sous-texte complexe, façon steampunk, convoque les fantômes de Mary Shelley et du roman gothique, l’ombre de Victor Hugo aussi, et d’étonnants avatars de Marie Curie et du poète Yeats. Coutumier d’une écriture empreinte de violence et de sexe, Day écrit ici une fable douce où s’allège la substance humaine. Un conte bleu. Presque…
Du sel sous les paupières - Thomas Day – Folio SF/Gallimard – 287 pages – 7,50€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 6 mai 2012