S'il existe encore une littérature populaire, c'est certainement celle qui se signale par sa propension naturelle à crever l'écran un jour ou l'autre. Une histoire à raconter, des personnages à reconnaître, une époque à restituer. "Ce matin d'octobre 1953" où "les pâles rayons d'un soleil bas d'automne tombaient sur le village de Grantchester", voilà déjà comment laisser filer la plume comme une caméra sur les rails.
Dans ce décor près de Cambridge où les scénaristes rodent en permanence pour flairer les secrets planqués derrière les rideaux du St John's College, on devine l'histoire de l'Angleterre tramée dans un roman à gros budget, plein de bruit, de fureur, de mystères un peu rances et de terreur glacée. L'Ombre de la mort, c'est le titre assez emblématique d'une œuvre inscrite dans le clair-obscur de l'Empire britannique. Les lueurs grises de l'après guerre sont encore imprégnées d'une rigueur victorienne alors même qu'une jeune reine arrive pour incarner l'espoir.
Fils de l'ancien archevêque de Cantorbéry, James Runcie revisite l'héritage de Chesterton et du père Brown avec son personnage de jeune pasteur fasciné par les mystères profanes du crime. Chesterton avait une vision des peuples européens très britannique, n'hésitant pas à peindre avec humour les penseurs français, pacifistes, athées et menant campagne contre le mot "adieu" dans la littérature. A la différence du père Brown, rondouillard, invisible malgré son visage de gnome, associé à Flambeau, cambrioleur reconverti en détective amateur, Sidney Chambers, le héros de Runcie, est un bel homme, sensible au charme féminin.
Ce qui le rapproche de Geordie Keating, le lieutenant de la police locale, ce n'est pas la foi dans l'homme ou dans la justice, mais la guerre dont ils sont tous les deux des vétérans. Cette contradiction hante le pasteur et lui donne une profonde humanité.
Dans le théâtre bucolique de sa petite paroisse, s'affrontent les passions universelles: jalousie, cupidité, trahison. Cette première série des Mystères de Grantchester que publie Actes-Sud, s'ouvre sur la confession d'une jeune femme, "un matin d'automne 1953", après l'enterrement d'un homme dont le suicide semble suspect.
"Hais le péché, aime le pécheur", en paraphrasant Saint-Augustin, on comprend le projet de Runcie pour son héros. Les caméras s'allument. Moteur. James Norton incarne le séduisant Sidney Chambers. La première saison a été diffusée sur France3 l'été dernier. A suivre.
Sidney Chambers et l'ombre de la mort – James Runcie – Traduit de l'anglais par Patrice Repusseau – Actes-Sud – 368 pages – 22,80€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 7 février 2016