En reprenant les héros de son premier roman, "La Madone de Notre-Dame", Alexis Ragougneau semble installer un dispositif littéraire un peu étranger au phénomène de série et caractérisé par la rencontre entre des personnages que tout sépare, flic, prêtres, clochards, dans un lieu, la cathédrale Notre-Dame de Paris, où rien ne renvoie à la dramaturgie policière.
Pour le lecteur de polars, la scène inaugurale d'autopsie est souvent le marqueur du genre. Ici, le cadavre de Mouss, un jeune SDF, est le livre ouvert du légiste. La puanteur du corps profane résume le parcours du vivant, elle réduit même le rêve de transcendance à cette empreinte éphémère appelée à se dissoudre sur la table en inox.
Outre un duo de flics composé de Gombrowicz, lieutenant incapable de porter une arme, et de Landard, son supérieur, il y a Claire Kauffmann, la juge chargée de l'instruction après la découverte du corps mutilé de Mouss, et enfin, le père Kern, installé dans une complicité difficile avec les clochards envahisseurs de Notre-Dame. La culpabilité de Kern l'amène à revivre les événements qui ont conduit à l'expulsion des sans-abris et à l'émergence de la figure christique de Mouss, devenu le porte-parole des miséreux.
Ce qu'Alexis Ragougneau met en scène avec patience et subtilité, c'est une passion d'un nouveau genre. Mouss est mort mais on reparlera de lui peut-être dans deux mille ans. Si le message n'est pas de nature à rassurer les gueux de Paris et d'ailleurs, n'hésitons pas à dire de ce roman, bienveillant sans être manichéen, qu'il est une "bonne nouvelle" pour le polar.
Évangile pour un gueux – Alexis Ragougneau – Viviane Hamy – 400 pages – 19€ - Réédition Points Seuil - 360 pages - 7,70€ ***
Lionel Germain - Sud-ouest-dimanche – 24 janvier 2016