Durant "les années de plomb", de fin 1960 à fin 1980, l’Italie connut une intense période de troubles sociaux et politiques, secouée par une vague d’actions terroristes. Cette vague atteignit son paroxysme avec l’enlèvement, le 16 mars 1978, d’Aldo Moro (Fabrizio Gifuni), président du parti de la Démocratie Chrétienne, par les Brigades Rouges, organisation terroriste d’extrême-gauche.
Marco Bellochio, dans "Esterno notte", restitue en six épisodes les circonstances et les conséquences de cet enlèvement, puis l’assassinat d’Aldo Moro, vingt ans après avoir déjà réalisé le film "Buongiorno notte". Il y retraçait l’affaire, dans le huis clos d’un appartement, du point de vue des ravisseurs, imaginant un drame psychologique focalisé sur les regrets d’une des brigadistes.
Le contexte de cette année 1978 est explosif: au moment où Enrico Berlinguer (Lorenzo Gioielli), chef du parti communiste italien (PCI) – le plus puissant de l’Occident - affirme sa volonté de prendre ses distances avec Moscou, le jour où Aldo Moro s’apprête à réaliser avec lui, sans l’assentiment de ses pairs, le "compromis historique", les Brigades Rouges frappent. Elles ne voient, dans cette alliance, qu’une compromission avec les "sociaux-traîtres".
Dans "Esterno notte", Marco Bellochio adopte une construction ambitieuse et chronologique de ce moment très sombre de la vie italienne, et le revisite, dans chaque épisode, au travers du point de vue des différents protagonistes. Il indiquait notamment, dans un entretien, que "la série (le format) permettait de privilégier les personnages, comme dans un roman, de circuler de l’un à l’autre, pour concevoir une dramaturgie en forme de prisme". En l’occurrence un quintuple prisme, à la fois public – l’Église, l’État, les Brigades Rouges – et privé, la famille du politicien et Aldo Moro lui-même.
Porté par un casting éblouissant, le récit passe successivement en revue les acteurs du drame: le ministre de l’Intérieur, Francesco Cossiga (Fausto Russo Alesi), ancien disciple et fils spirituel d’Aldo Moro, qui, paranoïaque et obsessionnel, refuse tout négociation avec les terroristes; le Pape Paul VI (Toni Servillo), vieillard défaillant, frileux et velléitaire, avec lequel Aldo Moro entretenait une relation quasi-filiale; le Président du Conseil, Giulio Andreotti (surnommé "Le Divin", Fabrizio Contri), couard et mesquin; Eleonora Moro (Margherita Buy), l’épouse forte, digne et lucide dans l’épreuve; et un couple de brigadistes, Valerio Morucci (Gabriel Montesi) et Adriana Feranda (Daniela Marra), qui témoigne de leurs doutes mais ne parviendra pas à entraver le jusqu’au-boutisme de leurs camarades.
Dans cette série très documentée, le réalisateur ne nie pas malgré tout une part de fiction, et affirme avoir "essayé de tirer profit des zones d’ombre, des moments flous, et de les investir avec de la fiction. Mais la réalité n’est jamais très loin". Réalité avec laquelle il n’est pas tendre, citant en particulier une phrase de Francesco Cossiga: "Sauver Moro et protéger l’intégrité du pays, c’est incompatible".
Hostiles à toute négociation, la Démocratie Chrétienne et Giulio Andreotti, totalement opposés à l’ouverture de la coalition gouvernementale aux communistes, jouent le pourrissement; prétextant la folie de Moro et espérant secrètement que le député, homme patient et visionnaire, soit éliminé par ses ravisseurs. Ce qui adviendra, son cadavre sera retrouvé cinquante-cinq jours plus tard dans le coffre d’une voiture, au centre de Rome.
Marco Bellochio concluera, évoquant Aldo Moro, que la série "offrait la possibilité de le découvrir en tant qu’homme, avec sa faiblesse, sa rage de survie … C’est une sorte de figure christique, mais c’est un Christ qui ne voulait pas porter sa croix".
Esterno notte – 1 saison, 6 épisodes – Netflix - *****
Réalisée par Marco Bellochio
Avec Fabrizio Gifuni, Margherita Buy, Toni Servillo, Fausto Russo Alesi, Gabriel Montesi, Daniela Marra, Fabrizio Contri
Alain Barnoud
Alain Barnoud