Benjamin Dierstein ne cache pas son admiration pour Ellroy. Il promène sa caméra à fleur de bitume, dans les égouts et les caniveaux de la fabrique du monde. Si l'Histoire s'offre à nous le plus souvent sous la forme d'un "roman national", ses héros ne figurent plus qu'à l'arrière-plan d'un bon roman historique. Et conformément au "principe d'Ellroy", les rôles titres du polar se partagent entre flics et voyous.
"Bleu, blanc, rouge", premier volet de cette trilogie, renvoyait à la fin des années 70. On y découvrait la traque d'un trafiquant d'armes surnommé Geronimo, celle plus réelle de Mesrine, les exactions du SAC, l'affection de Giscard pour les diamants et les safaris à l'antilope. "L'étendard sanglant est levé" démarre en janvier 1980 après un petit détour inaugural en 1965 où la tambouille post-coloniale affine sa recette mafieuse dans les faubourgs de la "Françafrique".
Mais le projet romanesque est d'une telle ampleur qu'on ne peut le réduire à un catalogue de bavures historiques. Les petites mains et les gros bras sont la chair idéale du roman. Au revers du pathos dialogué par les maîtres du monde, le réel est usiné dans le chaudron trivial des passions humaines. C'est là qu'on retrouve les héros de Benjamin Dierstein: Jacquie, femme flic des Renseignements Généraux, le service dont est issu la DGSI, Paolini, agent de la BRI, et Jean Gourvennec, flic sacrifié dans une mission d'infiltration au cœur d'Action Directe.
Terrorisme, recyclage mafieux d'un mercenaire, luttes politiques pour le pouvoir, les ombres qui dansent autour du feu de joie hexagonal laissent en pleine lumière les comparses du bottin mondain. Pasqua, Pandraud, Giscard, Mitterrand, on les connaît parce qu'ils mènent apparemment le bal, mais les vrais héros sont des héros de roman, et ce sont eux qui nous mitonnent pour 1981 une alternance du crime.
L'étendard sanglant est levé - Benjamin Dierstein – Flammarion – 912 pages – 24,50€ - ****
Lionel Germain
Lionel Germain
