Il n'est pas surprenant qu'un psychiatre soit au cœur d'une histoire de fous. L'animateur d'un blog ayant réservé une case au Réel est une fiction savoure la perversité du diagnostic émis par le docteur Meriem Drought. "Regardez le monde actuel. Comment voulez-vous qu'un enfant l'accepte et parvienne à faire semblant d'y vivre sans devenir complètement fou, s'il ne passe pas par l'étape de la rationalisation délirante? Ce sont justement ceux que l'on nomme fous qui ont échoué à l'étape de la rationalisation délirante."
Sur ce blog, les prolégomènes du dossier nous renvoient à Merleau-Ponty: je sais que la Terre tourne autour du Soleil, mais j'éprouve la réalité du soleil qui se lève à l'est. Le préjugé est un obstacle à ma compréhension du monde et je cherche un terreau moins instable que le commentaire pour apercevoir l'horizon. "Le réel se distingue de nos fictions parce qu'en lui le sens investit et pénètre profondément la matière.", dit Merleau-Ponty.
Le roman de Sébastien Raizer est à l'opposé de ce matérialisme. Une trinité sous-tend "l'alignement des équinoxes": "Physique, psychique, spirituelle. Une fois élaborées et en concordance de phase, elles n'en forment plus qu'une: l'alignement." Ce n'est pas le langage, ici, qui transforme le réel en fiction, c'est la séparation des constituants de l'être qui empêche la relation de l'être à l'univers.
Vous n'y comprenez rien? Ce n'est pas grave.
Malgré l'intitulé parfois sévère des débats d'auteurs dans la galaxie des salons du livre, le polar est un objet ludique. Diane, la timbrée, Meriem le psy, Wolf et Silver les flics, sont des personnages de polar. Leur valeur narrative ajoutée procède d'une inflation des signes distinctifs (plus timbrée que Diane, tu meurs), un peu comme dans la commedia dell'arte où Polichinelle se doit d'accumuler les attributs grotesques. S'ils échappent totalement aux stéréotypes du genre, c'est grâce au talent de l'auteur qui confère à ses marionnettes une singularité "hors normes".
Opposés à la radicalité idéologique d'illuminés prônant la fin de l'espèce humaine, les héros du polar ont des pouvoirs comparables à ceux très étendus de leurs adversaires. "Vous êtes cinglé, docteur?", demande Diane. "Oui, mais je vous soigne", aurait-il pu répondre, ajustant son déni énigmatique à notre appétit de paradoxes. La fin provisoire nous rappelle, hélas, notre condition prosaïque de lecteur. A suivre, donc.
L'alignement des équinoxes – Sébastien Raizer – Série noire Gallimard – 468 pages – 20€ - ***
Lionel Germainlire aussi l'article de Gérard Guégan dans Sud-Ouest