"Un doigt. Un doigt bariolé de rouge et de noir. Elle se dit pareil à ceux de papa quand il peint. Puis papa n'est pas là. Puis papa est mort. Puis à qui est ce doigt. (…)
14 janvier 2008 – ATTENTAT CONTRE L'HÔTEL SERENA DE KABOUL. Six personnes, dont un citoyen américain et un journaliste norvégien, ont trouvé la mort au cours d'une attaque menée par des kamikazes… "
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Il y a plusieurs façons de raconter le monde. DOA est un romancier. Que le pseudonyme (Dead on Arrival) renvoie à un film ou à un banal constat clinique, il détourne sans doute l'attention du lecteur, donne un peu de volume à la rumeur, mais s'efface dès qu'on ouvre le livre. De janvier à septembre 2008, DOA revisite l'Afghanistan en guerre, arrachant au communiqué de presse la pulsation incertaine du récit, gorgé de cris, de fièvre et de parfums brûlants. Pukhtu nous renvoie à une brutalité dont les images nous sont familières. Mais Pukhtu, c'est d'abord un terme pachtoune, une réalité indifférente aux frontières, enracinée dans une culture tribale.
DOA nous entraîne dans la tourmente de Sher Ali, chef de clan coupable d'aimer sa fille Badraï davantage que son fils Adil et plongé dans une guerre vengeresse par la faute d'un drone américain. Dans les cauchemars de Fox, également, paramilitaire d'origine française qui lutte contre les talibans en utilisant les failles du système clanique pour retourner provisoirement les uns contre les autres. Fox est le "citoyen clandestin" par excellence, Français d'origine arabe, nationalisé américain pour échapper au rôle de bouc émissaire dans une opération clandestine des services français.
Les trafics consacrent cette mondialisation. L'héroïne doit beaucoup au périple de l'anhydride acétique de la Chine au Waziristan. Les armes proviennent de Corée du Nord après un parcours protégé par les services secrets pakistanais. Double jeu permanent de tout le monde, distance abyssale entre les "valeurs" de l'Occident et les crispations intégristes. DOA distille toutes les informations dans le mouvement des hommes et des femmes qui hantent ce scénario.
De "Citoyens clandestins" à "Pukhtu" en passant par "Le serpent aux mille coupures", on est aussi passé de la lutte anti terroriste à la guerre contre la terreur. Comme Ellroy, DOA change de focale, élargit le champ et traque l'identité parfois incertaine du conflit. Il nous promène au large, dans des lieux en suspens comme Dubaï, "belle de nuit, vulgaire, hypocrite et menteuse, moderne en surface, capitale des nouvelles capitales du monde globalisé, mais pourrie à cœur et toujours ensablée dans un obscurantisme des plus rétrogrades." Il ramène au plan serré de Fox. Apprivoisant une prostituée "abîmée", c'est-à-dire défigurée à l'acide. Parenthèse amoureuse aussi réussie qu'improbable entre deux personnages condamnés à la solitude. DOA est mystérieux mais ce n'est plus un secret, son roman est magistral.
Pukhtu Primo – DOA – Série noire Gallimard – 688 pages – 21€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 5 juillet 2015