Dans un essai déjà lointain, "La Transparence du Mal" paru en 1990 (Galilée), Jean Baudrillard ironisait sur les fantasmes d’une machine intelligente qui viendrait menacer la singularité humaine. “L’intelligence artificielle”, écrivait-il, “est sans intelligence, parce qu’elle est sans artifice.” L’artifice étant cette capacité d’utiliser des subterfuges pour modifier le réel dans un rapport de séduction. L’affirmation pourrait bien être démentie par les recherches sur les nanoparticules dont Michael Crichton nous livre ici un aperçu.
Depuis Extrême Urgence qui reçut l’Edgar du meilleur roman policier en 1969, l’auteur a multiplié les raisons d’avoir peur en décrivant de manière hyperréaliste des apprentis-sorciers. Ici, c’est Julia l’apprentie-sorcière. Elle est la femme de Jack, un informaticien plus ou moins mis sur la touche par son entreprise. Entre deux biberons, Jack découvre qu’elle change peu à peu et adopte même un comportement hostile envers lui ou envers leur petite fille. Le travail de Julia dans une société high-tech de la Silicon Valley n’est pas étranger à ce qui lui arrive.
Pentagone, bactéries et technologie de pointe constituent les éléments d’un cocktail à hauts risques. Le roman pose des questions (beaucoup de fulgurances de Baudrillard convergent avec certaines mises en garde parfois politiquement incorrectes du romancier, notamment sur les effets pervers d’une écologie divinisée), mais le projet servi par une écriture efficace reste de procurer au lecteur le plaisir trouble d’un vrai cauchemar.
La Proie - Michael Crichton - Pocket - 480 pages - 8,10€ - **
Lionel Germain