C'est Jean-Baptiste Baronian qui préface les deux tomes de cette intégrale des nouvelles de Simenon, hors Maigret. L'épaisseur de chaque volume, plus de 1200 pages par livre, donne une idée de la corpulence de l'œuvre. Dans le premier opus, Simenon avance le plus souvent masqué, "gâchant du plâtre", comme il le dit lui-même. Loin de l'empathie légendaire de Maigret, ses premiers héros comme le détective amateur Joseph Leborgne, sont dans l'air d'un temps où l'énigme est reine.
Parenthèse à ne jamais oublier, il y-a cette faille tenue au large par les biographes, même si Assouline est plus explicite que Baronian dans son excellent Simenon (Folio), les collaborations à des journaux antisémites dès son plus jeune âge et plus tard encore, en France, certains propos et une neutralité plus que bienveillante avec les autorités allemandes. Baronian pardonne Gringoire en évoquant des contributions à des journaux de gauche. Fin de la parenthèse.
La deuxième fournée écrite alors que Maigret semble en mesure de dévorer l'homme à la pipe et au chapeau, confirme sa capacité d'invention et de renouvellement. Après une petite balade pour renifler l'humeur du siècle, il était en mesure, à la fin des années 30, d'écrire chaque matin une nouvelle de cinquante pages. A côté de la série divertissante consacrée aux "dossiers de l'Agence O", on découvrira dans les textes suivants une thématique plus sombre à l'image des romans "durs" qu'il écrit alors.
Avec cet hommage au Paris interlope dans "la chanteuse de Pigalle". Un vieux flic au rebut dont les journées sont rythmées par la jeune Lili qui lui fait son ménage et par la visite d'un commissaire encore en exercice, suit de près l'enquête sur l'assassinat d'une chanteuse. On est en 1952, il y a les concierges qui vous saluent, cette vue imprenable sur le Quai de la Tournelle et les bouquinistes qui s'installent le matin. Simenon n'a pas son pareil pour capter les ambiances en quelques phrases.
On est loin de la sécheresse stylistique des premières énigmes. Les criminels ne sont pas des gens futés et les crimes ne sont pas des problèmes destinés à défier le génie déductif des enquêteurs. Pour le vieux flic en chaise roulante, "si les assassins étaient intelligents, ils ne tueraient pas."
Nouvelles secrètes et policières – Simenon – Deux volumes couvrant la période 1929-1953 – Omnibus – 1200 et 1280 pages – 29€ chaque volume - ***
Lionel Germain