Un premier chapitre à l'arraché. François Médéline joue aux osselets avec les scories du cauchemar concentrationnaire. Il y dans toute idée un peu de bave collée à la semelle des mots. C'est ce qui est réjouissant dans la poésie. Ce coup de chalumeau sur la bave. Une déjection brûlante. Les idées se défont et il reste une béance sur l'intranquillité du monde.
François Médéline est un poète. La fureur du livre est là, dans cette défaite insupportable du langage. Les idées au pied de la lettre qui voudrait leur botter le cul. L'idéologie, paix armée entre le réel et sa représentation. Ils sont très nombreux, souvent très jeunes, des auteurs pleins de rage impuissante à la recherche d'une illumination qui renverserait le ciel. Ils sont rares ceux qui réussissent à vous embarquer au large.
Avec malgré tout des attelages encombrants, la cohorte des inspirateurs "artificiels" et donc pétaradants, parce qu'un écrivain se réduit à la somme de ses lectures multipliée par la racine carrée de ses névroses. La Maman est parfois la putain qui vous prive de sommeil. Ellroy se regarde en train de pleurer sa mère et François Médéline, comme dans "La Politique du tumulte", a du monde sur les épaules, Ellroy entre autres, qu'on renifle par exemple dans la description d'une cage à flics où infusent toutes les mauvaises vibrations de la littérature policière, celle qui condense les odeurs de pieds et de tabac froid. On développera sur Ellroy un autre jour.
François Médéline écrit un polar. Une histoire de Maman, de putain et de camps de la mort. Écrite avec des mots qui nous ramènent à l'introduction de cet article. Seule la poésie s'émancipe de la "constitution historique du langage". François Médéline évoque Rimbaud. Dans une vieille édition préfacée par René Char, on trouve cet avertissement du poète Hölderlin: "C'est par des chants que les peuples quittent le ciel de leur enfance pour entrer dans la vie active, dans le règne de la civilisation. C'est par des chants qu'ils retournent à la vie primitive. L'art est la transition de la nature à la civilisation, et de la civilisation à la nature." Cette poésie d'un âge d'or où le ciel et la terre confondaient leurs eaux a disparu. Les idéologues qui écrivent des romans ne changeront pas le monde même si l'impuissance de la littérature est encore l'objet de débats interminables. De Proust à Guy des Cars, le divertissement est à l'œuvre. L'œuvre est un divertissement.
Comme dirait Manchette, la place du lecteur comme celle de son personnage, "il faut la chercher dans les rapports de production". Écrire cette phrase dans un roman (Le petit bleu de la Côte ouest), ça gâche peut-être le plaisir du lecteur ou ça fait frémir d'aise l'intellectuel qui s'en veut de lire des polars, mais ça ne change rien au "divertissement", et c'est bien le problème avec lequel Manchette se débat jusqu'au bout. Mais on parlera de Manchette un autre jour.
François Médéline écrit un polar. Un flic tourmenté, des mafieux, des politiciens pourris, les rives du Lac Léman, les fantômes de Mauthausen, la Maman et la Putain. Il occupe avec habileté les lieux communs sans jamais jouer les propriétaires, avec juste assez de distance pour qu'on reconnaisse "sa place dans les rapports de production". Celle d'un écrivain.
Les rêves de guerre – François Médéline – La Manufacture de Livres – 328 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain