Le crime est son affaire. Toujours aussi chandlérien, avec "un humour caustique, un sens aigu du ridicule" et un décor pluvieux soudain rendu caniculaire pour éponger la dette californienne, voici Karl Kane, détective privé à Belfast.
C'est sans doute parce qu'il n'est guère qu'une figure de style qu'aucun personnage réel ne peut rivaliser avec sa constitution chaotique et sa mauvaise humeur de dur-à-cuire. Malgré ses hémorroïdes, son compte en banque à sec et son instinct foireux de parieur, il lui a fallu moins d'une semaine pour séduire Naomi, sa secrétaire. Son ex lui a laissé une fille et un beau frère vraiment moche, flic à la criminelle. Un privé, un vrai, donc, une dégaine à la James Garner et des manuscrits dans le tiroir de son bureau.
Sam Millar a tout lu. Il irrigue chaque chapitre avec des citations plaisantes. Il a beaucoup vécu aussi. Du coup, on s'y croirait.
La jeune fille qui réclame l'aide de Karl Kane pour retrouver sa sœur disparue a déniché ses coordonnées dans une cabine téléphonique, punaisées au cœur d'un lot d'adresses de filles nues. Dans un pays qui a longtemps confondu les pensionnats avec des maisons de passe, les dingos sont légions. Quelque part dans Belfast, un type découpe ses victimes et prélève le foie et les reins. Karl Kane se pommade les fesses en serrant les dents. Paré pour encaisser les gnons et affronter, comme dirait Conan Doyle, le nuage noir où se cache tout ce qu'il y a "de monstrueux et d'incroyablement méchant dans l'univers".
Le cannibale de Crumlin Road – Sam Millar – traduit de l'anglais par Patrick Raynal – Seuil - 288 pages – 22,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 11 janvier 2015