Les violences faites aux femmes sont d'une actualité toujours aussi insupportable. En France, Louise Mey dans son roman "La deuxième femme" publié au Masque a su donner une voix aux victimes, mettre à jour les mécanismes de l'emprise et interroger l'indulgence qui autorise encore trop souvent les bourreaux à revenir sur les lieux d'un premier crime. Mais l'horreur des féminicides n'est pas française.
"Keeper", le titre du roman de la Britannique Jessica Moor offre une polysémie troublante. Si le gardien n'est pas un ange, n'est-il pas parfois celui qui enferme et maintient sous sa coupe? En lui préférant pour l'édition française "Les femmes qui craignaient les hommes", Belfond rétablit la jurisprudence dont les cours d'assises nous renvoient l'écho.
Dans ce roman, la victime est une énigme. Elle s'appelle Katie, travaille dans un refuge pour femmes en danger et s'est apparemment suicidée en se jetant du haut d'un pont. Une énigme rendue oppressante par la construction alternée des chapitres entre "Avant" et "Maintenant". Ils nous délivrent peu à peu la chronologie d'une relation toxique de Katie avec un personnage dont l'identité reste un mystère pour les policiers chargés de l'enquête.
L'inspecteur Whitworth, associé à un jeune inspecteur, participe de cette "naïveté" qui sous-estime en permanence la nature du mal. Et bien-sûr, l'hostilité que la directrice du centre exprime à l'égard des hommes en général et de Whitworth en particulier reste incompréhensible. Par contraste, le flic pense à sa mère qui allait sans broncher à l'usine tout en régentant d'une main de fer quatre gamins et un mari alcoolique. "Et oui, il était déjà arrivé que son père lui colle une droite en revenant du pub. Qu'elle lui rendait sur le champ, d'ailleurs. Voilà comment ça se passait."
Et voila surtout comment on passe à côtés des signaux de détresse que les femmes destinent en vain aux services spécialisés. Le roman passionnant de Jessica Moor et sa fin glaçante nous rappellent cette autre vérité de Margaret Atwood: "Les hommes ont peur que les femmes se moquent d'eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent."
Les femmes qui craignaient les hommes – Jessica Moor – Traduit de l'anglais (GB) par Alexandre Prouvèze – Belfond noir – 352 pages – 21€ - ****
Lionel GermainLire aussi dans Sud-Ouest