Sandrine a toutes les raisons du monde de se haïr. Depuis sa plus tendre enfance, on lui a répété qu'elle était grosse et moche. C'est avec ce statut qu'elle va tomber sous l'emprise d'un père de famille affligé par la disparition de sa femme. La rencontre amoureuse opère après une marche blanche, exercice de consolation désormais incontournable.
Devenue la deuxième femme de "l'homme qui pleure", elle accepte et se soumet à la véritable nature du pervers narcissique qu'il dissimule à son entourage.
Le compliment le plus ambigu qu'on pourrait adresser à Louise Mey, saluerait son style d'une efficacité redoutable. Son travail d'écriture est tellement ajusté à la douleur secrète de Sandrine qu'on partage son calvaire jusqu'à la réapparition mystérieuse de la première femme.
Ça tient à peu de choses, surtout pas aux effets spéciaux, plutôt à une condensation qui puise sa légitimité dans l'évidence, par exemple celle d'une rencontre salvatrice avec la gynécologue, une femme "aux tresses larges" qui "divisent son crâne en rangées sombres (…)Avec quelque chose dedans. De la vie. De la volonté."
Au fil de cette histoire à peine mise à distance par la troisième personne, Louise Mey décrit la force de l'emprise, la réalité du mal et la terreur engourdie d'une victime que l'autrice refuse de nous livrer vaincue. L'homme qui pleure ne pleure que "parce qu'elle est vivante. Et libre."
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 23 février 2020
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