Le premier Prix Goncourt, en 1903, récompensa "Force ennemie", un roman de SF de John-Antoine Nau. Que le Goncourt 2020 renoue avec ses origines est peut-être un signe des temps. Devant l’effet de sidération produit en 2016 par le plan de colonisation de Mars d’Elon Musk, en 2020 par une pandémie qui semble tout droit sortie du film de Soderbergh, ou par la commercialisation à Singapour des premiers nuggets de poulet cultivé in vitro, il faut raison garder.
Nos subjectivités baignent dans un imaginaire SF que l’idéologie ambiante instrumentalise en nous proposant des futurs convenus. Le défaut d’anticipation de cette vision populaire et scientiste est flagrant, explique Kyrou: un roman qui porte sur les robots n’est pas une anticipation de la robotique; et les fictions les plus apocalyptiques, loin de boucher nos horizons, sont autant de sources de savoir et de pistes pour comprendre le réel, décaler notre regard et bouleverser nos a priori. Il faut désincarcérer nos lendemains.
Anticiper le pire, c’est chercher des voies pour s’en extraire. Et Damasio de renchérir: la SF est une littérature de l’altérité qui ouvre et émancipe, en offrant armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir. Un ouvrage qui fera date; dans son domaine, c’est l’essai le plus important depuis "Malaise dans la SF" de Gérard Klein publié en 1975.
Dans les imaginaires du futur - Ariel Kyrou, avec une "volte-face" d’Alain Damasio – ActuSF - 590 pages – 21,90€ - ****
François Rahier - Sud-Ouest-dimanche - 13 décembre 2020