Voilà le roman de l'incertitude, de la période charnière entre deux mondes, l'un où le mépris a triomphé, et l'autre, à peine une aube blafarde, où s'organisent les partisans d'un nouveau contrat national. Le dramaturge Alexis Ragougneau confie le rôle d'éclaireur à Niels Rasmussen, résistant danois d'origine française. Il découvre le sens de son engagement dans les bras de Sarah, jeune Juive animatrice d'un réseau de passage en Suède en 1943.
Avec Niels, de retour à Paris pour comprendre le basculement de son ami François Canonnier, homme de théâtre comme lui, amoureux de Shakespeare et accusé d'intelligence avec l'ennemi, Alexis Ragougneau questionne les déterminismes à l'œuvre dans le renoncement et la reddition d'une partie de la jeunesse française face à la collaboration.
Les surprises du Paris culturel de l'Occupation nous cueillent aux portes du théâtre Sarah Bernhardt dont les Allemands avaient effacé le nom juif. Désormais théâtre de la Cité, il hébergera "Les Mouches" en 1943. Sartre éclusa quelques coupes de Champagne avec les officiers Allemands pendant qu'un peu plus loin, à la Comédie française, Montherlant et Claudel tenaient l'affiche. Montherlant eut à rendre des comptes mais l'épuration épargna Claudel.
Qu'en est-il de ce François Canonnier auquel Rasmussen tente d'éviter la peine de mort? Comment cet intellectuel brillant a-t-il pu dénoncer les Juifs de son immeuble et produire un discours de haine? Comment chacun de nous peut-il un jour se fourvoyer dans des impasses? Le jeu de masques dont Michel Audiard s'est rendu coupable et qu'on semble découvrir aujourd'hui fait étrangement écho au déploiement de ce drame en cinq actes.
Niels – Alexis Ragougneau – Viviane Hamy – 360 pages – 20€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 3 décembre 2017