Le vieux monde sent la rouille. Le bruit et la fureur sont des rumeurs souterraines exhalées depuis ce siècle où la grandeur de l'Amérique se projetait déjà dans l'annonce de sa chute. Cette "corrosion" dont nous parle Jon Bassoff, se bricole avec les restes du festin littéraire mitonné par Faulkner ou Thompson.
Inauguré avec John Downs, un vétéran de la guerre d'Irak, gueule cassée percluse de douleurs et de drames intérieurs, le roman déconstruit sa logique narrative dans une deuxième partie sidérante où la voix désynchronisée du soldat valeureux se superpose au monologue de Benton Faulk. Benton Faulk chez Bassoff est le personnage charnière entre le réel et la fiction. Il est celui qui réinterprète le monde, pétrissant le réel pour lever sa propre légende.
Un vétéran blessé et solitaire cherche donc à sauver la veuve et l'orphelin. On l'appellera John Downs. Il est sur les routes avec son vieux pick-up comme le cowboy sur son cheval. Il entre dans des saloons, corrige les hommes violents envers les femmes puis s'en va. Sauf que le monde réel est une folie bien plus meurtrière qu'un récit codé par Hollywood. Benton Faulk n'est pas le double de John Downs. Il est l'écho cinglé du mythe destiné à murmurer une version pastorale de l'enfer.
La corrosion du rêve, c'est le repli sur un territoire désolé qui n'appartient qu'aux écrivains. "Bienvenue à Thompsonville, 1372 sympathiques habitants". Il y fait déjà nuit.
Corrosion – Jon Bassoff – Traduit de l'américain par Anatole Pons – Gallmeister - 240 pages – 17,20€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2016