Ils s’appellent Moineau, Bécasse, Héron, mais également Tybalt, Mercutio ou Hamlet. L’emprunt à Shakespeare donne le ton. Et aussi ce mystérieux capitaine, sans doute immortel, qui, à la recherche d’incertaines formes de vie éparses dans l’univers, s’apprête à engager son vaisseau spatial dans la Nuit, une zone intergalactique vide de toute étoile, au risque de perdre, corps et biens, navire et équipage. Et là nous pensons au roman de Melville, à sa baleine blanche. D’abord scientiste, la SF s’était ouverte dans les années 60, avec Vance ou Herbert, à l’anthropologie, politique ou religieuse.
À la toute fin du siècle dernier est apparu un questionnement métaphysique qui rapproche durablement ce sous-genre, comme ce fut le cas pour le polar – dixit Malraux, de la tragédie. Très âgé – il est né en 1926 –, auteur discret, Robinson a été rédacteur des discours d’Harvey Milk, premier conseiller municipal gay de San Francisco assassiné en 1978, et coscénariste de "La Tour infernale"; il est surtout connu pour son thriller "Le Pouvoir".
Le thème classique du vaisseau-monde s’enrichit ici d’une méditation pascalienne sur le silence éternel des espaces infinis qui débouche sur une quête éperdue de Dieu ou du père: Hamlet se muera-t-il en Œdipe pour régner, malgré lui, sur son peuple de réprouvés? Publié il y a plus de vingt ans, ce chef d’œuvre du space opera vient d’être opportunément réédité.
Destination ténèbres - Frank M. Robinson – Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Daniel Brèque - Folio SF/Gallimard – 576 pages – 8,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 22 juin 2014