James Ellroy. Provocateur, arrogant, homophobe, réactionnaire, obsédé sexuel, imbu de lui-même et passionnant autant qu'insupportable. En pleine tourmente personnelle, il se sort du trou avec de petites histoires de flics longtemps ignorées des éditeurs. Difficile, dans l'univers formaté du thriller américain, d'apprivoiser cette rage et cette puissance de l'écriture.
Pourtant, le voilà vite promu "meilleur auteur de polars". La célébration et la reconnaissance le sauvent d'une overdose. Hollywood lui fait la révérence. Le quatuor sur Los Angeles, avec entre autres, "Le Dahlia noir" ou "L.A. Confidential", offrent des scénarios ciselés pour la lumière vénéneuse des multiplex. Ellroy veut davantage. Des bataillons de figurants se bousculent dans ses notes. Il s'est mis à boire du petit lait et à fumer la Bible.
A l'heure du story-telling, il raconte l'autre histoire de l'Amérique, les "pédés" honteux, les traqueurs de "pédés" et de communistes, les complots minables qui ont changé le monde. "American tabloïd", "American Death trip", "Underworld USA", entre chaque pavé, il reprend une goulée d'air pur, parce que la faille est à portée de regard. Les angoisses du sale môme de neuf ans qui souhaitait voir mourir sa mère, la belle et dangereuse Genova Hilliker Ellroy, lui restent en travers de la gorge.
Il a parcouru les soixante dernières années en reniflant les dessous du pêché. Dieu aime Ellroy. Dieu lui envoie des femmes. Des rédemptrices. Ellroy n'aime pas les hommes. Il cauchemarde sur des prédateurs avec des sexes énormes. Pour se délivrer du parfum de la morte, il s'est transformé en flic. Il a traqué la sueur et les mauvais désirs de l'assassin de sa mère. Le 22 juin 1958, Genova Hilliker Ellroy a été assassinée et son fils désirait sa mort.
Depuis, il joue au chien fou, terrorisé à l'idée de n'être que ce fantôme effleurant d'un peu trop près le cou des femmes. Entre les pavés sur l'Amérique, il nous raconte l'autre histoire de lui-même, celle d'un écrivain hanté par le pouvoir hypnotique de son œuvre, en permanent divorce avec le monde. Et toutes ces mères qui lui caressent le front, qui le remettent debout, qui le tancent puis qui s'éloignent pour rejoindre l'armée des ombres, celles de la Malédiction Hilliker.
La Malédiction Hilliker – James Ellroy – Rivages poche – 320 pages – 8,65€ - *** –
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2011