Quatrième meilleur auteur russe autoproclamé, Vladimir Lortchenkov, fils d'un officier de l'armée soviétique, est né à Chisinau. Le goût du large est sans doute universel mais la Moldavie dont le PIB est inférieur à celui du Bangladesh est aussi une invitation permanente au voyage. Lortchenkov avait donc tenté une première fugue burlesque avec "Des mille et une façons de quitter la Moldavie". "Camp de Gitans" propose une échappée définitive, et cache sous la farce désopilante une vision très pertinente de la détresse des peuples.
Quand Barack Obama, façon "star de la NBA", ouvre le bal à l'Assemblée générale des Nations Unies, il s'adresse à l'employé qui lui tient la porte: "Souviens-toi de cette journée, jeune homme. (…) Et tu auras le grand bonheur de raconter à tes descendants que c'est à toi, oui, à toi qu'est revenu l'honneur d'ouvrir cette porte pour le monde." Le jeune homme en question ramène l'insignifiance de ces propos à cette impression des politiques "que le moindre de leurs soupirs a valeur de prophétie."
Et prenant dans la foulée l'Assemblée en otage, il efface enfin aux yeux du monde la pusillanimité des discours pour exiger une action immédiate de l'ONU en faveur des Moldaves.
Oublions le thriller et ses codes, Vladimir Lortchenkov s'accomode d'une vraisemblance de série B. La Moldavie est un cauchemar géographique coincé entre l'Ukraine et la Roumanie. Seraphin Botezatu, un mystérieux prophète, "affirme que Dieu aurait dispersé les Moldaves dans le monde entier". Depuis son bagne de Casauti, épicentre du drame, il invite ses quelques 6 millions de concitoyens à la transhumance vers une contrée plus hospitalière. Major Plechka, sous-directeur, rêve de l'autorité suprême sur ce lieu où croupissent les ennemis de la Moldavie. Psychopathe consciencieux, il prospère sur sa folie, impose sa poésie meurtrière aux détenus et emprunte ses talents de versificateur à Balanescu, un prisonnier à sa merci dont il raye le nom dans les archives. Au milieu de ce carnage narratif, le lieutenant de police Petrescu enquête sur les disparitions que Plechka a planifiées entre deux gorgées de vodka tandis que l'écrivain Lorinkov se veut le scribe embrumé du désastre.
L'exodisme est la parabole effrayante d'un monde où les états se sont effondrés sur le sable de leurs institutions. La fable s'incarne cruellement dans l'actualité mais si Lortchenkov n'est pas tendre pour les Moldaves, il désigne aussi les coupables dans les coulisses du grand barnum onusien.
Camp de Gitans – Vladimir Lortchenkov – Traduit du russe par Raphaëlle Pache – Mirobole – 384 pages – 21,50€ - ****
Lionel Germain - Sud-ouest-dimanche – 1er novembre 2015