Terrains vagues infestés de vermine, taudis suant le salpêtre et la haine, corps livrés à d’immondes bourreaux, c’est l’environnement familier du jeune Jakabok. Chez les démons, la vie s’apprend en ayant mal. Maître du fantastique postmoderne, auteur aussi de films ou de bandes dessinées, Barker n’adopte pas dans ses récits le prisme convenu de la bonne conscience anglo-saxonne, illustré par tant de livres banalisant l’horreur où l’on se retrouve toujours du bon côté du mal (comme souvent chez Stephen King).
De livre en livre, il s’est fait le cartographe de l’indicible, et son enfer tient la route. Mais, semblables à ces figures du peintre Bacon, avec lequel il partage la même fascination-répulsion pour l’Église et pour l’Irlande – dont ils ont sucé le lait chacun à leur manière, trognes défigurée aux lèvres absentes ouvertes sur un cri silencieux, ses démons ressassent inlassablement une désespérance tout humaine. "Science avec patience, le supplice est sûr", comme l’écrivait Rimbaud dans "L’Éternité". Non, décidément, Dante n’avait rien vu.
Jakabok : le démon de Gutenberg - Clive Barker - Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Pugi – Lunes d’encre/Denoël - 218 pages - 19€ - ***
Du même auteur, vient de reparaître: Le royaume des Devins - Traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque - Folio/SF - 927 pages - 10,20€
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 7 février 2010