Un pays en finit-il jamais de solder les comptes de son Histoire? La France de "Vichy", l'Italie fasciste, chaque nation cultive des arrière-pensées qui exhalent des fumerolles sur le débat contemporain. Valerio Varesi est la grande découverte des éditions Agullo. Si on observe l'ensemble des titres publiés depuis "Le Fleuve des brumes" en 2016 jusqu'à ce dernier roman paru en mai 2023, on est frappé par la mélancolie qui imprègne l'œuvre, pas le "langoureux vertige" baudelairien, mais la face médicale d'un signifiant plein d'un jus de bile noire. Le commissaire Soneri, héros récurrent attaché aux faubourgs de Parme est un hypocondriaque malade de sa ville et de son pays dont la partition idéologique semble inguérissable.
Ici, on s'interroge sur le mystérieux suicide d'un jeune homme et sur l'assassinat à l'arme blanche d'un ancien militant d'un mouvement d'extrême-gauche parmesan. Soneri se défend d'être dépressif sous cette pluie qui menace pourtant de submerger la ville. Quittant le brouillard consubstantiel à son humeur, le commissaire va s'exiler pour les besoins de l'enquête au bord de la mer de Ligurie.
Malgré la présence affectueuse de sa compagne, la station balnéaire de Levanto lui inspire "un sentiment de décomposition" et ses habitants "l'image d'une humanité mise de côté, comme les déchets que la mer déposait contre les roches en contrebas."
Tempérée par des pauses gastronomiques, cette déprime bien réelle se résout au principe de réalité qui dissipe peu à peu les rêves adolescents de transformation sociale. Soneri n'est pas dupe. Il est flic. Condamné donc à ramasser les morts de cette guerre des mémoires. "Ici, dans la limpidité propre aux matins d'hiver où le regard plongeait jusqu'à ce que le ciel et la mer se touchent, il n'entrevoyait rien derrière les apparences." Magnifique éloge de l'ombre et du brouillard.
Ce n'est qu'un début, commissaire Soneri - Valerio Varesi – Traduit de l'italien par Florence Rigollet – Agullo – 320 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain
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