Andy Wahrol avait fait de Marilyn l’icône d’un pop art flirtant volontiers avec le marketing. Dans ce roman manifeste de l’"Avant Pop" italienne, une nébuleuse littéraire qui revendique un corps à corps critique avec la culture de masse, c’est tout naturellement qu’on en fait un produit de consommation déclinable en deux versions (la sulfureuse Marilyn Monroe aux lèvres miroirs, la trop sage Norma Jean); ce livre iconoclaste réserve à d’autres représentants en vue de la beat generation et d’une certaine Amérique, un traitement proche.
Excusez du peu: un jour de 1956, Jack Kerouac devient vigile pour le compte de Coca-Cola dans une station orbitale publicitaire. Il tombe amoureux d’une libraire vamp, Marilyn en personne, qui se trouve être la femme d’Arthur Miller, son patron. Ici, réalité et fiction, un bref instant, coïncident – ou presque. Pendant ce temps, Neal Cassidy, autre beatnik égaré dans les plis du virtuel, perd la trace de Norma, qu’il aime éperdument, etc.
On ne raconte pas ce livre complètement fou, cocasse et tendre et désespéré à la fois, dont certains chapitres se réduisent à quelques lignes, une photo noir et blanc ou une page vierge. Le titre italien, "Lo spazio finito", dans un jeu de mots difficilement traduisible, fait écho à un espace vidé de son sens par la domination des apparences. Le titre français renvoie à Pascal: la vanité, le silence éternel d’un monde traversé par une tristesse infinie où les personnages errent sans trouver leur salut ailleurs que dans un rêve au carré.
Plus proche de Philip K. Dick que du jansénisme, cependant, l’auteur semble opter, en désespoir de cause, pour le seul divertissement, le réel n’ayant pas plus de consistance que les songes. Et Tommaso Pincio n’est-il pas un leurre lui-même, lui dont le nom sonne bizarrement comme celui de son presque homonyme américain Thomas Pynchon?
Le Silence de l’Espace - Tommaso Pincio - Traduit de l’italien par Éric Vial - Folio SF / Gallimard - 206 pages – 6,90€ - ****
François Rahier
François Rahier