C'est un homme de la campagne, chasseur de père en fils et chômeur parce que trop vieux. Il s'appelle Philippe, sa femme Maud est serveuse dans un restaurant, son fils Lucas est un ado scotché à ses écrans, les potes sont des chasseurs. La ville est un autre monde, celui des gens qui les ont méprisés quand ils ont "mis des gilets jaunes" pour faire "des grillades sur les ronds-points."
L'imminence du drame coïncide avec l'arrivée de Julien, l'étranger aperçu se baignant nu près de la propriété, et le roman n'est qu'une confession tardive destinée à un de ces habitants de la ville, un étudiant "indifférents aux hommes périphériques." Elsa Marpeau donne au personnage du narrateur le rythme des saisons. On le voit s'épanouir, se rétrécir, se remplir de colère au gré du vent, des tempêtes promises, de la chasse qui meurt avec le dérèglement climatique.
Tout grand roman est un roman noir parce que le réel est une affliction permanente qui s'ignore dans l'innocence de l'aube et bat le rappel des affligés au crépuscule. Et si les fusils ont une âme, elle est noire, comme la couleur du phrasé d'Elsa Marpeau.
L'âme du fusil – Elsa Marpeau – Gallimard La Noire – 182 pages – 16€ - ****
Lionel GermainLire aussi dans Sud-Ouest