Après un détour "historique" vers la commune de Paris, Hervé Le Corre réinvestit les territoires du noir contemporain. Dans cette ville de Bordeaux qu'il connaît si bien, il scénarise l'errance de ses personnages: Louise, mère célibataire d'un petit Sam qui la maintient debout; Jourdan, commandant de police lancé sur les traces d'un tueur de femmes; et le tueur enfin.
"Anges plein de gaité, connaissez-vous l'angoisse?" Des Fleurs du Mal, il reste les harmonies profondes que Louise mâchonne pour évacuer le stress d'une violence ordinaire, subie jour après jour. La même que celle à laquelle Jourdan est confronté sur les scènes de crime. Le roman se partage les couleurs de la nuit. C'est peut-être le seul "endroit" à traverser pour tenter d'approcher le mystère de ce flux morbide, ce qui rend cette humanité gémissante.
L'intériorité infréquentable du tueur surgit alors, exprimée avec un nihilisme proche de Cioran:
"…grands singes savants, guenons rusées, tâchant de dominer leur état de rut permanent, leur violence, leurs rêves de puissance, leurs envies de meurtre, ces pulsions d'animaux qu'ils nomment amour, désir, ambition, ces mots qu'ils utilisent comme du papier hygiénique pour torcher leurs turpitudes. Tous les matins ils vidangent la fosse septique qu'ils s'appliquent à remplir chaque jour, heure après heure, en feignant d'ignorer ce qui macère en eux."
Du coup de chiffon sur le chrome du robinet au frisson provoqué par la pâleur des femmes rousses, Hervé Le Corre épargne les signes qui construisent son personnage aux "mauvaises pensées". Il est là, devant nous. On sent son souffle, on respire la menace. Voilà le travail du romancier, cette accumulation de petits "riens" indispensables à la densité d'une nuit sans lendemain.
Traverser la nuit – Hervé Le Corre – Rivages noir – 320 pages – 20€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain