Venu des Hautes-Brandes, confins ensauvagés d’une cité portuaire jadis enrichie du commerce des îles, un homme arrive aux portes d’une ville. Ouvrier forestier tenté un moment par l’infini des mers, le hasard de rencontres, un antiquaire, une libraire, des gens de sac et de corde aussi, vont l’amener au plus près des secrets de Terrèbre.
Ultime rempart d’une civilisation qui ne croit plus en elle-même, la ville attend la venue des barbares, dont elle croit sentir à ses frontières la pulsation fiévreuse. Proche du surréalisme, familier de Gracq, Jacques Abeille, est né en 1942; il entretient depuis plus d’un demi-siècle un commerce intime avec Bordeaux où il a fait ses études.
La cité portuaire est comme un palimpseste de sa ville imaginaire, et livre en mains, promeneur émerveillé, tout au long de pages somptueuses, le lecteur reconnaît aisément l’ancienne Faculté de médecine et sa dyade monumentale – la Nature se dénudant devant la Science, les momies de Saint-Michel, le Parc bordelais ou encore le Pont de pierre gratifié ici de trois arches supplémentaires.
Mais Terrèbre est surtout la figure du fini des terres. On ne sait rien de l’Empire, dont elle est la capitale. Le réalisme poétique de Jacques Abeille se préoccupe peu d’une géographie, d’une histoire, qui paraissent ici comme en filigrane et conservent l’inconstance des songes. Rêveur éveillé, il écrit sous la dictée d’un monde intérieur qui le possède, et passe infiniment l’autre.
Le veilleur du jour - Jacques Abeille - Folio SF/Gallimard - 606 pages – 9,40€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 24 juin 2018