On ne compte plus les articles louangeurs sur le roman d'Hervé Le Corre qui aura décidément marqué cette rentrée littéraire. Presse écrite, radio, télévision, se sont emparés du livre et de son auteur pour en faire l'éloge.
Les derniers jours de la Commune y sont vécus du côté des barricades, et on y retrouve le personnage de "l'Homme aux lèvres de saphir", Pujols, qui sévissait dans le sillage de Lautréamont. Le portrait saisissant d'un homme au "visage brisé" où "le sourire est celui d'un chien sournois montrant les dents sans un grondement, capable de vous arracher la gueule d'un claquement de mâchoires. Et les yeux noirs (…) sans éclat, deux trous profonds comme ces puits où se jettent les désespérés."
Tandis que la ville brûle sous le feu des Versaillais, le pervers enlève Caroline, la compagne du combattant Nicolas Bellec. Les crapules et les bandits ont fui le chaos, préférant attendre le retour de l'ordre avec Thiers, les prostituées sont invitées à rejoindre les ateliers, le racolage est désormais interdit favorisant les maisons de passe clandestines. Paradoxe d'une société vertueuse sans exploitation où le crime recompose ses exigences en secret, les combines pornographiques de Pujols inscrites dans les balbutiements de la photographie, révèlent le négatif d'un monde pétri de morale.
Conscient de la vulnérabilité poétique des révolutions, le médecin légiste dit dès les premières pages comment l'esprit des barricades s'est dissipé dans les envolées lyriques: "C'est peut-être pour cela que je me suis occupé davantage des morts que des vivants, parce qu'au moins je n'avais pas à leur mentir sur ce qui les attendait et sur mon impuissance à les guérir."
Dans ce tourbillon destructeur, comment maintenir les quelques lois fondamentales qui permettent aux hommes de vivre ensemble? Antoine Roques est un relieur, élu "délégué à la sûreté" par les communards. C'est le flic d'après, issu de la révolution et de "la détestation profonde, ancienne, de toute forme de police." Le voilà pourtant contraint par le réel à endosser le costume de cette autorité honnie qui menace et protège. Le lecteur partisan se sent soudain envahi de tristesse parce que le réel, ce n'est pas son désir, c'est ce croisement des regards qui sans neutraliser l'espérance l'oblige à disputer sa part de rêve. Et dans ce qui reste à disputer, il y a ce surgissement des femmes dans l'espace public. Caroline a participé à l'Union des femmes pour la défense de Paris. Malgré la présence de quelques ricaneurs, c'est une voix nouvelle qui monte, cherchant à renverser "toutes les servitudes".
Hervé Le Corre le dit souvent, il n'est pas un "auteur engagé". Le citoyen sait ce qu'il a à faire et le romancier raconte des histoires. Celle-ci a la puissance des grands classiques de la littérature. On frissonne au passage des ombres maléfiques, on partage l'héroïsme des humbles, on espère avec Caroline.
Dans l'ombre du brasier – Hervé LeCorre – Rivages – 496 pages – 22,50€ - ****
Lionel Germain