Près d'un siècle après la parution des premières histoires dans la revue Black Mask aux États-Unis, Samuel W. Gailey, lui-même producteur et scénariste, jongle encore avec les invariants du roman noir pour nous servir un cocktail sur mesure. Mettez un bled pourri, des portraits de petits Blancs, une galère, la promesse d'une rédemption, et vous n'aurez plus qu'à secouer le shaker.
Un concentré de polar à l'américaine qui doit beaucoup à la grâce improbable de son personnage féminin, Alice, et à l'insondable cruauté du méchant qui la traque, un nain bien décidé à récupérer le magot qu'elle a subtilisé. Le point de départ, c'est un trou à rats en Pennsylvanie, le Frisky Pony, où des filles aux yeux vides et aux seins siliconés se laissent mourir en glissant le long des poteaux de strip-tease.
Alice travaille au bar, elle se noie dans l'alcool pour oublier son erreur de jeunesse, un ratage de babysitting qui a coûté la vie à son jeune frère. Une embrouille avec le patron du bar et la voilà au réveil d'un coma éthylique, près d'un corps sans vie et d'un trésor dans une mallette. Dans sa cavale où l'alcool mène la danse, Alice embarque une autre petite fugueuse à la recherche de ce fameux point de chute qui leur donnerait une chance de s'en sortir.
On a beau connaître ses classiques, Samuel W. Gailey nous embobine. Par l'apparition de cet "Homme-Enfant" à la préciosité terrifiante, par la magie vénéneuse du décor, par l'obstination rageuse de cette gamine, par cette description d'un paradis tellement artificiel qu'entre deux gorgées de bière chaude, on s'y consume plus vite qu'en enfer.
Une question de temps – Samuel W. Gailey – Traduit de l'américain par Laura Derajinski – Gallmeister – 336 pages – 21,30€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 7 janvier 2018