A la sortie de la fac, Otto et Alexandre s'empressent de vérifier les implacables lois du marché en créant leur entreprise, une agence de voyages culturels. Autant dire que les banques ne se bousculent pas pour financer l'affaire. Sauf à suivre peut-être les conseils d'un comptable dont les avis consistent à déployer l'argumentaire traditionnel sur l'offre et la demande.
Nous voilà donc en route "du Pays basque au pays des Ch'tis" pour découvrir "les relations franco-allemandes au XXème siècle à travers les œuvres de Mauriac, Giraudoux et Dany Boon". Embarqués avec douze retraités parfois atrabilaires parmi lesquels les lecteurs du "Front russe" reconnaîtront Michel Boutinot, colonel en retraite, Otto et Alexandre feront une halte à Malagar, l'occasion d'une comparaison élégante avec la maison de Philippe Bouvard.
Atteinte d'Alzheimer, la prof de français demandera si Mauriac a écrit beaucoup de romans pendant que les collégiens confondront Yalta avec une marque de yaourt. Quant à la visite à Oradour-sur-Glane, elle sera perturbée par une libération de nains de jardins.
L'amour impossible d'Alexandre pour Otto complique tout et provoque un quiproquo permanent. Otto est lui-même le passager clandestin de ce "territoire", farci d'étrangetés culturelles. Malgré son répertoire d'expressions toutes faites, son origine allemande le rend incapable de comprendre celle-ci: "il va falloir se sortir les doigts", injonction du comptable inquiet. "Les doigts, oui, mais d'où fallait-il les sortir?"
Road-movie crépusculaire à bord d'un car Mercedes où l'on rejoue "la croisière s'amuse", le roman traverse un parc à thèmes désopilant qui ressemble à la France. La maladie d'Alzheimer nous renvoie sans doute l'image d'un monde de plus en plus absent à lui-même, mais la cruauté du constat est nuancée par la vigueur burlesque de l'entreprise et la confrontation réussie entre ces personnages, nimbés d'innocence et d'amour.
La Campagne de France – Jean-Claude Lalumière – Livre de poche – 238 pages – 6,60€ - ***
Lionel Germain